Samedi 25 janvier 2014 à 15 heures à la Maison des Associations du 12ème l’assistance était nombreuse à assister au cercle de lecture autour du livre de Simon Wuhl, sociologue, à l’université de Marne La Vallée auteur de : « Pour un Judaisme Culturel » (Aux Éditions « Le bord de l’eau « ).
Une mémoire personnelle enracinée dans l’histoire collective des juifs d’Europe. Édité dans la collection « Judaïsme « dirigée par Antoine Spire.
À notre public habituel s’étaient joint des amis de Simon Wuhl ainsi que des personnes n’ayant pas réussi à assister à la présentation de ce livre au Café des Psaumes. Simon Wuhl, qui était déjà intervenu dans un précédent cercle de lecture, est sociologue, mais ce livre porte une autre dimension car il nous décrit son parcours personnel enraciné dans l’histoire collective des juifs d’Europe, en retraçant l’histoire de son père déporté, puis mort à Auschwitz ainsi que celle de sa mère.
Ses parents, originaires de la Galicie polonaise et membres du Bund, quittent cette région dans les années 1920 pour la Palestine mandataire où ils se rencontrent, puis devant les premières contradictions au sein de la gauche sioniste majoritaire, partent pour la France où perce déjà le Front Populaire, vivent et militent à Paris puis subissent l’Occupation et la Collaboration. Le père de Simon est arrêté lors la rafle du Vel’D’hiv, tandis que Simon et sa mère sont sauvés du fait qu’il avait moins de deux ans. Son père est exterminé dans des conditions que Simon ne connaît pas en application de la solution finale d’extermination des Juifs d’Europe.
La démarche de Simon s’inspire de la recherche menée dans le livre de Daniel Mendelsohn Les disparus et de celle de Claude Lanzmann dans le film Shoah. Comme ces derniers, il a voulu restituer le parcours de vie de son père pour qu’il ne meure pas une deuxième fois. S.Wuhl nous dit que le livre Les disparus l’a beaucoup impressionné. Dans ce livre l’auteur enquête sur la Shoah par balles pour retrouver l’itinéraire de ses parents massacrés par les Allemands.
Il se trouve que les parents de Simon sont tous deux originaires de la Galicie comme le sont les disparus de la famille de Daniel Mendelsohn. Après la Shoah, la mère de Simon se trouve dans l’impossibilité de reprendre une existence normale, tandis que lui-même, passé par « les maisons des enfants de la Shoah », éprouve un sentiment très profond d’étrangeté et n’arrive pas à s’inscrire dans un lien social en France à l’exception peut être de la mouvance communiste. Ce n’est qu’ultérieurement et vers le tard qu’il s’interroge sur les obstacles dressés en France sur les possibilités d’accès à sa culture d’origine, la culture juive.
Pour les non juifs le judaïsme consiste simplement à adhérer à la religion, tandis que pour lui son identité juive se définit autour de la notion de judaïsme culturel ou mieux encore de judaïsme sécularisé c’est à dire de juifs ayant une culture juive. Il préfère cette formulation à celle de la notion de juif laïque. En effet, on observe fréquemment une confusion entre la notion de laïque et celle d’antireligieux, et il est souvent difficile de définir la laïcité. Il se sent proche de la position d’Hannah Arendt pour qui la religion fait partie de la culture, mais elle ne constitue pas l’élément dominant. Le judaïsme culturel au sens ou l’entend Wuhl comprend une lecture profane des grands textes de la Tradition juive, issus des sources religieuses, mais plus largement l’ensemble des productions de l’esprit du peuple juif, à travers la diversité de ses expériences sociales dans le temps et dans l’espace. Quatre grands domaines peuvent identifier pour lui le judaïsme à savoir l’expression littéraire et artistique, l’appréhension de la Shoah, la relation diaspora/Israël et le judaïsme de pensée.
Simon Wuhl expose ensuite sa conception de l’Universel dans la pensée juive. Que signifie l’expression « Dieu unique ». Pour les juifs elle signifie Un seul, mais aussi que rien ne lui ressemble. On ne peut accéder à lui qu’à travers la Torah car on ne l’a jamais vu. On peut avoir de la Torah une lecture religieuse, mais également une lecture profane ce qui n’est pas en soi contradictoire.
De nombreux philosophes estiment qu’il convient de faire connaître les principes d’universalité de la pensée juive, en la restituant dans le langage rationnel de la philosophie définie par les Grecs. C’est le cas d’Hermann Cohen (1842-1918), penseur juif doté d’une double culture, talmudique et philosophique.
Contrairement à l’humanisme chrétien qui envisage l’éthique, sous une forme idéale et abstraite (comme le fameux aphorisme d’Emanuel Kant : il faut considérer l’Autre comme une fin et non un moyen) l’humanisme juif distingue rigoureusement l’être concret, l’homme tel qu’il est et sa définition idéale : il n’y a pas de confusion entre l’être et le devoir être. Toute la démarche du judaïsme consiste à faire progresser l’homme concret vers une élévation spirituelle et morale. Pendant longtemps, même pour des philosophes brillants, les juifs ont été considérés comme un groupe particulier, et à la limite comme une secte.
Simon Wuhl s’interroge ensuite sur la compatibilité du judaïsme avec la laïcité à la française. Les Lumières juives varient suivant que l’on s’adresse à l’Europe de l’Ouest ou à l’Europe Centrale et Orientale. Pour faire simple, en ce qui concerne l’Europe de l’Ouest on peut citer le philosophe M. Mendelssohn pour qui on peut pratiquer la religion chez soi, mais l’identité générale peut être diluée à l’extérieur, (les juifs semblent accepter plus facilement une dilution de leur identité au sein de leur société de résidence, pour peu qu’ils puissent pratiquer leur religion en privé), tandis que pour les juifs d’Europe de l’Est il faut absolument conserver la culture acquise. Il cite certains exemples tels que Ahad Haam, Simon Doubnov, Perez etc…
La France est un cas un peu particulier, et les juifs de France éprouvent des difficultés à s’intégrer. La loi de 1905 dite de « séparation de l’Église et de l’État » ne reconnaît que trois principes : séparation, neutralité de l’État et donc des agents de l’État dans leur fonction et liberté de conscience et sa pratique collective. Simon Wuhl cite Pierre Nora pour qui les juifs ont joué un rôle de révélateur vis-à-vis de la mise en pratique des prétentions universalistes du message de la France : ainsi les juifs sont reconnus formellement après la Révolution, mais en même temps ils subissent l’affaire Dreyfus et Vichy. Actuellement, les interrogations apparaissent de plus en plus quant aux possibilités d’expression et de reconnaissance d’une identité juive face à l’évolution d’une laïcité française de plus en plus restrictive quant aux possibilités d’expression et de reconnaissance d’une identité juive au sein de la République française. En définitive il faudrait sortir de cette contradiction et arriver à un retour à la loi de 1905 qui garantit la liberté d’expression des convictions religieuses, culturelles ou philosophiques dans l’espace public.
En ce qui concerne personnellement Simon Wuhl, il a souhaité concilier une dimension personnelle et une dimension collective dans son rapport au judaïsme. Sur le plan personnel il a cherché à renouer les fils d’une relation sur le plan identitaire avec son père, interrompue par la tragédie de la Shoah, et sur le plan collectif, en précisant sa conception pour un judaïsme sécularisé et culturel.
Un des points abordés lors de la discussion qui a suivi l’exposé de Simon Wuhl concerne les juifs d’Égypte résidant en France qui ne trouvent pas de repères dans la description du juif donné par les élites françaises.
André Cohen
(Photos Claude Guetta)
Simon Wuhl a été pris avec ses parents dans les filets de la rafle du Vel. D’hiv. Il n’avait pas deux ans : il a ainsi pu en réchapper avec sa mère. Son père sera déporté et assassiné à Auschwitz.
C’est progressivement qu’il prendra conscience, derrière l’ampleur de la tragédie, de la vie particulièrement intense de ce père, ouvrier du bâtiment, engagé dans les combats pour l’émancipation sous toutes ses formes. Au-delà de son rayonnement personnel, le père de l’auteur est une figure du judaïsme d’Europe orientale, portée par un mouvement de sécularisation, associant émancipation culturelle et émancipation socio-politique. Aussi, Simon Wuhl nous restitue-t-il d’abord l’histoire de son père depuis la Pologne des années 1920 jusqu’à la France de l’avant-guerre, en passant par un séjour très actif au sein de la société juive dans la Palestine mandataire des années 1930. C’est ensuite le récit du parcours d’enfant, d’adolescent et de jeune homme de l’auteur marqué par la Shoah, dans une France de l’après-guerre tendue vers l’avenir, attachée à gommer tout trait distinctif des Juifs victimes du nazisme et de la collaboration. Simon Wuhl enfin, accorde une large place dans son livre à l’illustration de son attachement à un judaïsme de culture, en explorant plusieurs domaines : l’expression littéraire, philosophique et artistique, l’appréhension de la Shoah et la référence à Israël. Il renoue ainsi avec les fondements d’une judéité ancrée dans l’Histoire réelle et l’expérience sociale du peuple juif.