Association pour la Sauvegarde
du Patrimoine Culturel
des Juifs d’Égypte

Les écoles juives en Égypte

Introduction

Les premières communautés juives au Moyen-Orient à avoir développé une éducation moderne pour leurs enfants ont été celles d’Égypte et de Turquie(1). En Égypte, parmi les différentes communautés religieuses, la fréquentation scolaire des enfants de la communauté juive est une des plus élevées. Hormis les communautés étrangères, c’est bien dans la communauté juive qu’on trouve le taux d’alphabétisation le plus élevé.

Les tableaux ci-dessous donnent une image ponctuelle, selon les chiffres basés sur le recensement de la population en 1907 (2).

CommunautésPopulationSachant LireIllettrés
HommesFemmesHommesFemmes
Musulmans10 629 445402 09010 5794 743 0245 113 752
Coptes706 33267 2565 765289 541343 760
Juifs38 63511 0245 9108 70612 995
Autres175 57668 29938 39926 70042 178
CommunautésSachant Lire
(pour 1000 habitants)
Illettrés
(pour 1000 habitants)
HommesFemmesPourcentageHommesFemmesPourcentage
Musulmans7824%92299896,0%
Coptes1881610,3%81298489,7%
Juifs55931343,8%44168756,2%
Autres71947760,8%28152339,2%

Les débuts

Les premiers enseignements se faisaient dans de petits kouttabs (ou Héders) dirigés par des rabbins, où les enfants recevaient une instruction plutôt religieuse. A maintes reprises, on avait essayé de créer des écoles juives pour les enfants de la petite bourgeoisie. La plus ancienne de ces tentatives est peut-être celle de Crémieux en 1840. « Quand j’étais au Caire, » raconte-t-il, « je m’informai de la manière dont on élevait les enfants. Aux garçons on apprenait à lire l’hébreu, à le chanter. Je ne vis point d’école de filles. Un certain nombre de filles appartenant à des familles riches, étaient confiées à des femmes qui les surveillaient sans leur rien apprendre. Ces enfants passaient la plus grande partie du jour dans une grande salle, po­sées sur des coussins qui étaient placés sur un vaste tapis. Elles s’y étendaient quand elles étaient fatiguées d’être assises. Jugez de ce que ces filles ainsi élevées devaient être dans leurs maisons quand elles devenaient épouses et mères. »  

Malheureusement, les écoles qui furent alors fondées par Crémieux n’eurent qu’une durée éphémère de deux ans au Caire comme à Alexandrie (3). Au Caire en 1860 la communauté ouvre pour les garçons les Écoles Gratuites de la Communauté appelées aussi «Talmud Thora».

En 1847 les Frères des écoles chrétiennes ouvrent à Alexandrie, pour les enfants du peuple, une petite école qui reçoit aussitôt 120 élèves. L’année suivante, exactement en juillet 1848, sur la demande insistante des familles bourgeoises de la ville, ils fondent leur premier collège payant qui, six ans plus tard, compte déjà 400 élèves avec beaucoup d’enfants de familles juives (4). En 1854, les Frères inaugurent au Caire, à Khoronfish (5), quartier alors riche et central devenu par la suite un quartier populaire et populeux, leur premier collège de la capitale. En 1928 au Caire, les Frères des écoles chrétiennes ne comptent pas moins de 9000 élèves, répartis entre 30 écoles et collèges avec 220 classes ; sur ce nombre, un peu plus de 6000 payent, les autres sont à la charge de l’Institut. À Alexandrie les Frères possèdent 11 établissements, 3155 élèves. Sur ce total, seuls 147 enfants sont de nationalité française (6). Une partie non négligeable de ces effectifs vient de la communauté juive. C’est de cette époque qu’une partie de la bourgeoisie juive préférera envoyer ses enfants dans les écoles congréganistes qui ont fait leurs preuves malgré le risque de voir leurs enfants se déjudaïser ou même quelquefois se convertir.

En 1854, la communauté juive d’Alexandrie, après s’être dotée de statuts (7), fonde sous la présidence de Joseph Suarès le «Talmud Thora» dans de nouveaux bâtiments, premier établissement scolaire pour garçons, dans un quartier où la population juive est très dense. Au début nous voyons apparaître deux établissements, l’un payant, l’autre gratuit. Mais dès l’année suivante, ces deux établissements fusionnent en un seul (8). En mai 1857 le «Talmud Thora» compte 78 élèves. En 1862 le premier établissement scolaire de filles est fondé. En 1865 Behor et Isaac Aghion constituent en propriétés inaliénables un certain nombre de maisons, dont les revenus sont destinés aux œuvres scolaires de la communauté. Isaac Aghion fait en outre un legs de 20 000 francs dont les revenus doivent servir à l’habillement des élèves pauvres. Le «Talmud Thora» prend le nom d’École Aghion (9).

En 1883 et 1884 à Alexandrie, 801 enfants fréquentent les écoles chrétiennes(10), soit environ 40 % des enfants juifs d’âge scolaire ; 497 enfants, soit 25 %, fréquentent une école juive, et environ 35 % d’enfants juifs d’âge scolaire ne fréquentent aucune école. Il est intéressant de noter que dans ces années-là la majorité des jeunes filles juives à Alexandrie fréquentent une institution chrétienne alors que les garçons se retrouvent majoritairement dans des écoles juives ou laïques. Notons pour ces années-là (1883 – 1884) :

  • 453 garçons juifs et 44 filles fréquentent 10 écoles juives
  • 97 garçons juifs et 289 filles fréquentent huit écoles chrétiennes
  • 231 garçons juifs et 184 filles fréquentent 14 établissements chrétiens non religieux.

Voici une image de la scolarisation des enfants juifs entre 1907 et 1946 (11) :

AnnéesGarçonsFillesDans les écoles juives% d’élèves dans les écoles
étrangères
GarçonsFilles
1907/19084000319490650480.3%
1912/191345233815115474477.2%
1924/1925746162304097311947.3%
1930/1931792866214542396941.5%
1936/1937763566574474396041.0%
1945/1946673353742883205659.2%

En 1895 au Caire, un certain nombre de pères de famille, préoccupés par l’alternative, soit d’envoyer leurs enfants dans les écoles congréganistes, où ils sont astreints au paiement d’un écolage très élevé, soit de les placer dans les écoles gratuites de la Communauté, dont 1’organisation laisse à désirer, s’adressent alors à 1’Alliance Israélite Universelle (12) qui accepte de fonder dans cette ville une école juive analogue à celle qu’elle entretient dans les autres pays d’Afrique et d’Orient.

L’École de l’Alliance Israélite Universelle du Caire ouvre le 2 février 1896 dans un modeste local, avec 70 élèves, tous payants. A la rentrée d’octobre de la même année, 200 élèves se pressent dans les classes devenues trop exigües et 50 autres sont refusés faute de place. On doit se préoccuper aussitôt de l’achat d’un local plus spacieux pour installer une école de garçons et une école de filles. C’est la première institution juive qui s’adresse aux classes moyennes de la population juive, étant payante et sérieuse, alors que jusque-là ces enfants fréquentaient les écoles congréganistes ou laïques.

On ne tarde pas à trouver un vaste immeuble répondant entièrement aux besoins de la situation. Située au centre du quartier juif, où se recrutent la plupart des élèves, la propriété acquise par l’Alliance en 1897 ne compte pas moins de 4530 mètres carrés de constructions comprenant un rez-de-chaussée et un étage. Elle peut loger sans peine, dans des conditions hygiéniques, un millier d’élèves. Le prix d’achat, augmenté des frais d’aménagement s’est élevé à près de L.Eg. 10.000, Dès la mise en service, le nombre d’élèves est passé à 360, dont 100 filles à la fin de 1897. Dès l’année suivante est créée une école séparée pour les filles. Voici quelques extraits du rapport de Sir Philip Magnès, chargé au début de 1898 par le conseil de l’Anglo-Jewish Association d’inspecter les écoles du Caire : « L’École occupe un immense local dans la rue Gameh El Banat. Elle contient 270 garçons et 110 filles. Quoique récemment ouverte, l’école est, pour les avantages de l’instruction qu’elle donne, très appréciée par la classe moyenne des juifs du Caire. Ceux-ci sont fort dési­reux de donner, moyennant quelques sacrifices, une instruction solide à leurs en­fants. L’école reçoit peu ou point de secours des juifs riches. Ils n’y envoient pas leurs enfants et ne contribuent pas à son entretien. L’écolage varie suivant les moyens des parents : quelques-uns payent jus­qu’à 25 francs par mois, un certain nombre sont admis gratuitement. La grande majorité des élèves sont sépharades, mais il y a aussi beaucoup d’ashkénazes et le nombre de ces derniers va en augmentant. J’ai appris avec beaucoup d’intérêt qu’il y a au Caire une Communauté de 50 familles Caraïtes et que 15 de leurs enfants fréquentent l’école de l’Alliance. Les élèves appartiennent principa­lement à la classe des artisans, des petits commerçants, des employés de commerce. Ils sont de différentes nationalités : j’y ai rencontré, en dehors de ce qu’on appelle des Égyptiens indigènes, des Grecs, des Turcs, des Syriens, quelques Allemands, etc. ». Avec l’amélioration de la situation de la Communauté, l’Alliance Israélite cède deux des écoles qu’elle détient en 1912, et le reste en 1919 date à laquelle l’Alliance Israélite Universelle n’a plus en Égypte que les deux écoles de Tantah.

Fréquentation des écoles de l’Alliance Israélite Universelle (13) :

Année1895/18961899/19001896/18971902/19031909/19101912/1913
École de l’Abbassieh cédée.
Effectifs60200320587466318

NOTES

(1)    Hayyim  J. Cohen, The Jews of the Middle East 1840-1972, Keter Publishing House Jerusalem, Ltd. Jérusalem 1973, p.108.
(2)    Jacob Landau, Jews in Nineteen-century Egypt, New York 1969, University of London Press, Ltd, p. 71.
(3)    Idem, p.73.
(4)    Union des Professeurs Français d’Égypte, ANNUAIRE de l’Enseignement Français en Égypte, Le Caire 1929, p. 18-19.
(5)    Idem, p. 19.
(6)    Idem, p. 19.
(7)    Revue Israélite d’Égypte, 5me année, numéro 21, 15-25 novembre 1916, p.193-196.
(8)    Jacob M. Landau, op. cité, p.74
(9)    Bension Taragan, Les Communautés Israélite d’Alexandrie, les éditions juives, Alexandrie 1932, p.87.
(10)  Hayyim J. Cohen, op. cité, p. 109.
(11)  Hayyim J. Cohen, op. cité, p. 109.
(12)  Jacob M. Landau, op. cité, p. 85-86.
(13)  Jacob M. Landau, op. cité, p. 87.