Association pour la Sauvegarde
du Patrimoine Culturel
des Juifs d’Égypte

Le personnage de goha chez Albert Ades, Albert Josipovici et Elian Finbert

Le livre de Goha le simple, Ades Albert et Josipovici Albert,
Le livre de Goha le simple
Ades Albert et Josipovici Albert, 1953

Goha s’était déchaussé, comme tout bon croyant au seuil de la mosquée, pour faire sa prière. Mais il ne retrouva pas ses espadrilles quand la foule des fidèles acheva les prières et sortit du saint lieu.
–  Qu’il prenne garde, le ladre sans vergogne, j’agirai comme feu mon père, dit-il à haute voix pour que tout le monde l’entendît.
Cette menace laconique mais lourde de punitions et de vengeance eut un effet immédiat. Un homme s’approcha de lui, tremblant, l’échine basse, et lui tendit les chaussures dérobées. 
–  Ah ! Te voilà, toi qui voles à la porte même de la maison de Dieu !
–  Que mon repentir te suffise, Goha : le Saint Prophète n’a-t-il pas enseigné qu’il faut savoir pardonner à ceux qui ont fauté ? Mais, dis-moi, que fit ton père quand il lui advint même aventure que la tienne ?
–  Il s’acheta une autre paire d’espadrilles…

Le personnage de Goha fait partie de la tradition orale de toutes les communautés juives du bord de la Méditerranée. Ici il s’agira plus spécifiquement de Goha l’égyptien.

Albert Adès et Albert Josipovici vont le suivre dans les quartiers populaires du Caire, et comme par hasard dans ces quartiers voisins du Mouski. Ce personnage incarne en principe le faible d’esprit. Mais y a-t-il une différence entre sagesse et folie, n’est-ce pas les deux aspects d’une même chose ? Sans le dire nos auteurs mettent parmi les familiers de Goha, le maître le plus considéré de la grande université d’Al Azhar, le Cheikh-el-Zaki, qui lui, incarne la sagesse. Et voici Goha le simple et Cheikh el Zaki l’érudit embarqués dans la même galère. Mais la folie ne demande qu’à se propager et voici le Cheikh-el-Zaki qui tombe amoureux de la jeune et belle Nour-el-Eïn qu’il prendra comme deuxième femme. La folie ne s’arrêtera pourtant pas là, et grâce à la complicité d’une domestique de la belle, Goha devient l’amant de Nour-el-Eïn. Quelque temps plus tard, dénoncée par Hawa, la nourrice de Goha, poussée par la jalousie et qui les a surpris sur la terrasse de la maison, Nour-el-Eïn est répudiée par son mari, renvoyée chez son père et enfin tuée par ce dernier. Hawa est en fait non seulement la nourrice de Goha, mais aussi sa mère, sa maîtresse et plus tard la mère de sa fille. Répudié et chassé de sa famille, Goha devient le souteneur de sa compagne. A-t-il tout-à-fait oublié Nour El Eïn ? Sans doute. Et pourtant, au moment où celle-ci, répudiée par son mari, est tuée par son propre père, on l’entend qui se murmure à lui-même : La Cheikha est morte ! Le plus naturellement du monde, il suit les funérailles et va même le lendemain même faire des aveux complets au Cheikh avec l’idée fixe de tomber dans ses bras, puisque rien ne les empêche plus d’être amis. Incapable de sévir, le Cheikh se borne à l’éloigner. Et Goha retourne dans sa fange… Mais, dans le milieu spécial où il se trouve, à l’habituelle bienveillance a succédé une hostilité qui achève de faire perdre la tête au pauvre diable. Dans un accès de folie furieuse, il massacre sa fille et s’enfuit, poursuivi par la populace déchaînée qui veut l’assommer. C’est chez son ami le Cheikh, que, nu et à moitié mort, il se réfugiera une seconde fois. Celui-ci, qui sait pourtant à quoi s’en tenir sur le compte du malheureux, le vêt, le ranime, la rage au cœur, mais sans chercher à se venger. Cet idiot est une créature étrange :

« De nous deux, se demande le vieillard quel est l’idiot, le fou, ou le mort ? »

Pourtant leur réconciliation est précaire. Heureusement voici que la célèbre Nazli Hanem, veuve depuis quelques mois, s’éprend de Goha du haut de sa fenêtre et le fait chercher. Goha va recommencer une nouvelle existence, avec la même éternelle ingénuité.

Arrêtons la narration de l’ouvrage, espérons vous avoir donné l’envie de le lire et revenons aux auteurs.

Si le livre d’Adès et Jocipovici est reçu avec un tel succès en Europe, c’est qu’il a été écrit pour des européens qui n’ont sans doute jamais mis les pieds dans un pays oriental. Les auteurs sont juifs et non arabes, ils utilisent la langue française, tout en gardant l’attrait de termes spécifiquement locaux et dont il est facile pour un lecteur de France de tomber sous le charme. Adès et Josipovici ont construit un personnage qui jusque là n’était constitué que par des historiettes et qu’Elian Finbert a réuni quelques années plus tard.

Le style de l’ouvrage permet aux occidentaux la compréhension de ce qui, normalement, aurait dû leur échapper. Par la suite, Adès et Josipovici poursuivent séparément leur carrière littéraire. D’Adès seul, il y a un roman posthume, Un Roi tout nu que la mort ne lui permet pas d’achever, Josipovici, qui disparait aussi prématurément, a le temps de publier de son vivant : Le Beau Saïd.

Après Adès et Josipovici, Elian Finbert. Finbert est lui né en Palestine, et il a parlé l’arabe bien avant le français. À son tour, il réunit dans un ouvrage toutes les petites anecdotes dont nous avons un exemple au début, et les publie en 1929 dans son ouvrage : Les contes de Goha.

Rédigé par Emile GABBAY le 2 mai 2009