Association pour la Sauvegarde
du Patrimoine Culturel
des Juifs d’Égypte

19/01/2014 – A. MEDDEB – D. CHARBIT

C’est dans la vaste salle bien remplie de l’Institut Protestant de Théologie  (83 Bld Arago) que nous avons eu le privilège d’accueillir M.M. Abdelwahab Meddeb et Denis Charbit, venus nous présenter leur dernier ouvrage collectif sous la direction de Benjamin Stora et d’Abdelwahab Meddeb :  « Histoire des relations entre juifs et musulmans des origines à nos jours » (Ed Albin Michel, oct. 2013).

En préambule, André Cohen nous présente les intervenants :

Abdelwahab Meddeb assure avec Benjamin Stora la co-direction de l’ouvrage. Il a été enseignant aux universités de Yale, Genève, Berlin et enseignant chercheur à l’Université Paris X. Auteur de nombreuses publications, il présente l’émission « Cultures d’Islam » sur France Culture.
Denis Charbit est politologue, Maître de conférences en sciences politiques à l’Open University d’Israël (l’Université ouverte d’Israël), auteur de nombreux écrits publiés chez Albin Michel, et aux éditions l’Eclat. Il fait partie du Comité Directeur de l’ouvrage qui nous est présenté.

André nous précise que nous sommes en présence d’une œuvre qui ne se parcourt pas comme un roman que l’on range sur une étagère après lecture, mais bien d’un document de référence (plus de 1100 pages et 120 auteurs qui ont participé à l’élaboration de ce livre) que l’on garde sous la main afin de pouvoir le consulter chaque fois que l’on est en quête d’une information objective et approfondie concernant le sujet traité. Nous sommes sans conteste en présence d’une encyclopédie unique en son genre, qui embrasse les domaines scientifiques, politiques et pédagogiques.

C’est Abdelwahab Meddeb qui, prenant en premier la parole, rappelle qu’il est toujours difficile d’être impartial lorsque l’on aborde un sujet aussi sensible que celui évoqué. C’est néanmoins l’objectif que s’étaient fixé les nombreux auteurs qui ont coopéré à la rédaction du livre. Au regard de l’accueil qu’il a reçu tant aux États-Unis, cautionné par les prestigieuses Presses Universitaires de Princeton, qu’en Europe et particulièrement en France et même au Proche-Orient, on peut légitimement admettre que l’objectif fixé a été atteint.


Relatant l’histoire mouvementée de ces deux peuples des origines jusqu’à nos jours, cet ouvrage qui relève un redoutable défi, se veut un commencement ainsi qu’un aboutissement.

Comment combattre une vision réductrice et négative de « l’autre » ? Le meilleur moyen consiste à mettre en relief, sans concession, les antagonismes et les rapprochements, et souvent les adhésions.
Pour revenir à l’ouvrage, l’accueil reçu met en évidence qu’il comble une lacune, car juifs et musulmans ont connu une très longue histoire pour le meilleur et pour le pire, histoire que l’on a souvent tendance à occulter surtout lorsque la cohabitation n’est pas toujours harmonieuse.
Ceci s’apparente à l’amnésie qui consiste faire table rase du passé et de ses réalités.
Juifs et musulmans ont entretenu des rapports tantôt apaisés, tantôt tumultueux. On analysera l’évolution de ces rapports au fil du temps.

«Histoire des relations entre juifs et musulmans des origines à nos jours » (Ed Albin Michel, oct. 2013).
«Histoire des relations entre juifs et musulmans des origines à nos jours» (Ed Albin Michel, oct. 2013). Abdelwahab Meddeb et Denis Charbit
« Histoire des relations entre juifs et musulmans des origines à nos jours » (Ed Albin Michel, oct. 2013).
« Histoire des relations entre juifs et musulmans des origines à nos jours » (Ed Albin Michel, oct. 2013).
« Histoire des relations entre juifs et musulmans des origines à nos jours » (Ed Albin Michel, oct. 2013).
« Histoire des relations entre juifs et musulmans des origines à nos jours » (Ed Albin Michel, oct. 2013).

A l’époque médiévale. Si l’on se hasarde à comparer la condition des juifs en terre d’Islam et en territoire chrétien, on notera que dans le premier cas la situation des juifs a été nettement plus favorable bien que non idéale.
Ainsi, dans le livre de Mark R. Cohen : « Sous le croissant et sous la croix » on relève que la période andalouse sous domination arabe, a constitué l’âge d’or pour la population juive.
On y apprend qu’Ibn Naghrîla, a été Premier ministre et Ministre des finances dans un État musulman. Esprit humaniste, érudit bilingue, grand poète, il fut aussi homme d’épée puisqu’il a dirigé de nombreuses batailles livrées par les Arabes à cette époque. On constatera cependant que l’histoire des juifs ne ressemble jamais à un fleuve tranquille, puisque le fils d’Ibn Naghrîla sera assassiné, accompagné d’un grand massacre de juifs à Grenade.
Mark Cohen attribue cette explosion de violence à « l’arrogance » perçue par les autres. En effet comment admettre qu’un individu tel que Naghrîla, soumis au statut de dhimmi, accède aux plus hautes fonctions de l’État ? L’histoire nous enseigne que ce sentiment de jalousie a souvent été attisé par les parties qui cherchent à mettre en avant la responsabilité de boucs émissaires utiles pour leur cause.

Abdelwahab Meddeb
19/01/2014 – A. MEDDEB – D. CHARBIT

Comment définir la dhimmitude ? Le dhimmi est certes protégé, mais il demeure néanmoins de rang subalterne, et pour subsister dans ce contexte, il doit, d’après les autres, faire preuve d’humilité. D’autres peuples ont aussi été soumis au régime de la dhimmitude mais il semble qu’aucun membre de leur communauté n’ait atteint la notoriété d’Ibn Naghrîla. Rappelons qu’à l’époque, la langue arabe était le véhicule du savoir et que son influence n’était pas moindre que celle du latin. L’apport des juifs à cette époque, au plan culturel et artistique a été considérable.

Au fil des siècles, la langue grecque qui était le véhicule de la culture, a été remplacée par l’arabe puis a suivi le latin. La contribution des juifs dans le développement et la propagation de la culture, au temps où la langue arabe était à son apogée, n’est pas négligeable. Citons au passage, Saadia Gaon né au Fayoum qui est considéré comme étant un des premiers à faire évoluer la culture arabe grâce à sa vaste connaissance de la culture grecque.
De nombreux textes grecs sont parvenus aux arabes grâce à l’apport de nombreux auteurs juifs et chrétiens.
D’autres auteurs ont largement contribué au rapprochement des cultures ; en particulier lors des comparaisons établies entre les trois religions monothéistes : judaïsme, islam et christianisme.
Leur conclusion ? Chacune de ces trois religions est également respectable.
Certains milieux israéliens ont tendance à occulter l’arabisme, c’est la raison pour laquelle notre conférencier souhaite faire souvent référence à Camus, y trouvant une certaine analogie de situation. Israël, situé au Proche-Orient entouré de pays arabes, Albert Camus brillant écrivain et prix Nobel, né en terre arabe.
Le souhait intime des auteurs, en participant à la rédaction du livre, est qu’il serve de référence aussi bien en terre arabe, qu’en Israël et dans de nombreux autres pays.

Au XXème siècle : Deux événements majeurs interviendront dans les relations entre juifs et arabes.
Pour les juifs, il s’agit de l’exode en masse des pays arabes. Pour les arabes, ce sera la Nakba (la catastrophe), entendez la naissance de l’État d’Israël, qui aux yeux des arabes, est la conséquence de la Shoah dont sont responsables les nazis.
Une des conséquences de ces événements sera la perception qu’en auront les populations juives vivant en terre arabe, parfois depuis des siècles. Ils se sentiront écartés et considérés comme un corps étranger, le souvenir de la dhimmitude, accentuant cette perception.

L’ouvrage a pour ambition d’éviter deux écueils. Le premier consistant à rejeter toute analyse objective en prétendant sans nuance, que la vie en terre d’islam a toujours été conflictuelle sous la domination des musulmans. Le deuxième qui consiste à prétendre que l’entente entre juifs et arabes a été parfaite et sans nuages jusqu’à l’apparition du sionisme et l’avènement du nationalisme arabe.
Aussi, nos auteurs ambitionnent-ils de rappeler que des moments de convergence culturelle, artistique et scientifique ont existé entre les deux communautés et qu’il convient donc d’admettre qu’une réconciliation est possible.

C’est au tour de Denis Charbit de prendre la parole. Ce livre dit-il, est un plaidoyer objectif qui récuse toute forme d’alarmisme ou d’euphorie béate. Le nombre d’auteurs d’origines diverses qui ont contribué à l’élaboration de cette œuvre en témoigne. Y ont ainsi contribué, des Israéliens arabes et juifs, des Français, des Américains etc.


Le nationalisme arabe a eu pour conséquence l’exode non seulement des juifs qui vivaient dans ces pays, mais aussi des diverses communautés d’origine étrangère : les Grecs, les Français, les Italiens etc. Les conséquences de cet exode sont un appauvrissement culturel car on se retrouve entre soi, avec moins d’échanges.
La situation en Israël : Environ 115 000 arabes chrétiens et musulmans sont restés dans le pays après la guerre de 1948-1949. Ils sont aujourd’hui environ 1,5 million. La fuite des résidants arabes n’a heureusement pas été totale, et de ce fait, l’Etat d’Israël y a gagné en diversité.
Les premiers immigrants juifs venus en Israël, provenaient principalement de pays où ils avaient été persécutés (en particulier d’Europe). Ceux originaires des pays arabes, arrivés dans le pays plus tardivement avec leur culture orientale, ont occupé des positions subalternes. Deux raisons expliquent ce décalage. D’une part, un fossé culturel et éducatif était manifestement en faveur des premiers arrivants, d’autre part, ces juifs orientaux imbibés de culture arabe étaient mal vus puisque c’était la langue et la culture de « l’ennemi » arabe qu’ils véhiculaient.
La culture « locale » s’est finalement imposée à tous les immigrants venus après 1949 qui devaient de ce fait se dessaisir de leur culture originelle, ce qui suscitait un malaise diffus parmi les nouveaux arrivants.

Le livre a le mérite de relever ce qu’il y a de pire et ce qu’il y a de meilleur dans les relations entre ces deux peuples juifs et musulmans, et veut briser le mur de fer conséquence du refus de considérer le point de vue de l’autre.

À l’issue de ces brillants exposés, de nombreuses questions ont été posées par les auditeurs. Nous en donnons ci-après un aperçu.


Question : Juifs en France, comment pouvons-nous agir contre l’antisémitisme et le racisme qui ont tendance à se développer ?
Réponse : Ne désespérez pas de la République. Il est de son devoir de protéger tous ses citoyens. Par ailleurs, il faut bien admettre un recul de la modernité dans le monde arabe, et ceci a des répercutions dans plusieurs pays d’Europe et particulièrement en France. L’extension du voile porté par les femmes de ces pays en est l’illustration. Ce recul n’est pas l’apanage des pays arabes, on observe des phénomènes analogues en Russie, en Ukraine, en Grèce etc.
Parmi les juifs on constate aussi une telle déviance. C’est le cas de Feldman, Professeur d’université, qui a fait l’éloge des Frères Musulmans, et a dirigé l’élaboration des constitutions Afghane et Irakienne. Strauss, pour sa part, récuse le mérite de Spinoza dont l’œuvre est porteuse de la joie que procure la connaissance. Citons aussi l’agitateur El Kadarawi. Ces personnages sont des détracteurs de la modernité, et conduisent à une régression culturelle de leurs pays.
Devant l’évolution de cette intolérance, il faut éviter plusieurs écueils :
1- De généraliser, en prétendant que tous ceux que nous côtoyons sont des racistes d’extrême droite.
2- De prétendre qu’il ne s’agit que d’une minorité. L’histoire nous enseigne en effet que ce sont parfois les minorités qui l’emportent. Se souvenir que les nazis n’étaient au départ qu’un groupuscule d’agitateurs qui aux élections n’obtenaient que 2 pour cent des voix.
3- Il faut rester vigilant, ne pas ignorer le phénomène et ne jamais baisser les bras.
Un autre exemple de recul nous est fourni par les études portant sur le Coran. Avant le Xème siècle, il y avait des débats concernant l’interprétation de certains écrits ; mais depuis, le Coran est considéré intangible. C’est la parole de Dieu.

Question : Nous sommes près d’un million de juifs qui ont été contraints de quitter leur pays natal. Il s’agit bien entendu de ceux qui vivaient dans les pays arabes. Nous avons été déracinés, et avons dû nous adapter dans divers pays d’accueil : France, Israël, Brésil etc. Alors que les réfugiés arabes ont été parqués dans des camps, et hormis la Jordanie, aucun pays arabe n’a accepté de les intégrer.
Réponse : Au départ, dans l’esprit de Ben Gourion, il convenait de ne pas encourager ces réfugiés à revenir sur leurs terres. L’argument développé était que ces réfugiés seraient plus heureux auprès de leurs frères arabes. Mais restés à quelques encablures de leurs maisons et de leurs villages, ils aspirent à un retour qu’ils considèrent comme du domaine du possible. Tout autre est le cas des réfugiés juifs qui ont quitté les pays arabes, ils sont à plusieurs centaines de kilomètres de leur lieu de naissance, se sont malgré des difficultés bien intégrés dans leur pays d’accueil, et pour la plupart n’aspirent nullement à un retour dans leur pays natal.

L’heure passant, il a bien fallu se résoudre à mettre un terme à cet échange fructueux et passionnant.
Comme à l’accoutumée, la soirée s’est prolongée par des autographes réclamés par de nombreux acquéreurs de l’ouvrage, et par un pot amical au cours duquel les débats se sont poursuivis.

Michel Mazza

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