Samedi 22 Février à 15 heures à la Maison des Associations du 12ème, nous recevions une romancière particulièrement prolifique. Nine Moati en est à son seizième roman. Son « dernier-né» s’intitule « Le fil de la vie.«
Mais Nine ne veut pas se limiter au récit de cet ouvrage et préfère dialoguer avec l’assistance qui d’ailleurs joue le jeu et la presse de questions.
André Cohen commence par une introduction biographique de notre invitée.
Il faut dire que son parcours et surtout celui de son père ont été particulièrement mouvementés. Elle a vu le jour à Paris, par un pied de nez de l’histoire.
Son père, de nationalité française, mais militant socialiste et défenseur des droits du peuple tunisien, se fait expulser en France par le Résident Général. Mais la guerre arrive ainsi que l’occupation allemande. Sa mère gère temporairement les biens d’un ami juif étranger, qui a fui vers les États-Unis. Il s’agit d’une compagnie de taxis devenue maintenant la société G7.
Spoliée à son tour du fait des lois racistes, la famille Moati retourne en Tunisie en empruntant le dernier bateau quittant la Métropole. Nine et ses parents vivront dans un hammam tenu par son oncle Scemama. Hélas, les Allemands arrivent fin 1942 à Tunis et son père est arrêté puis déporté à Mauthausen. Revenu miraculeusement en France, il s’évade de la prison des Tourelles et fuit à travers toute l’Afrique du Nord pour revenir en Tunisie, qui entre-temps a été reprise aux Allemands par l’armée américaine. Nine Moati, très jeune enfant a gardé de cette période les souvenirs merveilleux d’une petite fille à qui les G.I. offrent du chocolat et des chewing-gums.
A son retour en Tunisie, le père de Nine est extrêmement actif : représentant du Parti Socialiste en Tunisie, président de la Ligue des droits de l’homme, franc-maçon, créateur de la troupe de théâtre La Phalène. Rappelons qu’il a travaillé au journal Le Populaire aux côtés de Léon Blum, lors de son intermède parisien, avant la guerre.
Hélas, elle perdra ses deux parents, morts en 1957 dans un accident de circulation.
André Cohen demande à notre conférencière de nous parler du sort des Juifs en Tunisie pendant la guerre. Bien que très jeune à cette époque, Nine Moati se souvient d’avoir été recensée en tant que juive. Les Allemands n’étant restés que six mois en Tunisie, leurs exactions à l’encontre de la population juive s’en est trouvée limitée. Il y a eu néanmoins l’obligation du port de l’étoile jaune à Sousse, les camps de travaux forcés pour les jeunes juifs, la déportation d’une minorité…
(Ndr : Notons le cas des Scemama, un père et ses deux fils, arrêtés en tentant de fuir vers l’Algérie, jugés en Allemagne et décapités à la hache en 1944).
Nine Moati souligne l’ambiguïté d’attitude de certains musulmans voire de quelques juifs italiens vis à vis des puissances de l’Axe.
Et la langue ?
Notre conférencière confirme la place du français dans la langue courante. L’arabe est utilisé par certains (mais elle ne le parle pas, malgré son attachement profond à la Tunisie !) mais le français est la langue de l’enseignement, donc est connu de tous. La société civile est très laïque et très évoluée en particulier sur le droit des femmes (pilule, avortement, éligibilité…). Nine Moati reviendra sur ce point lors du court récit qu’elle nous fait sur son dernier roman.
Il s’agit du » Fil de la Vie » qui relate l’histoire d’une jeune juive autrichienne, qui se réfugie à Paris et ensuite à Marseille. Elle y rencontrera un diplomate turc musulman de qui elle aura un fils. Ce roman reprend le fil d’ouvrages antérieurs où l’on retrouve la guerre, les Allemands, la Résistance, le monde méditerranéen juif ou pas. L’héroïne est de la trempe des femmes méditerranéennes -quelques fois décriées- mais passionnées et énergiques et que Nine défend avec fougue, car ses personnages sont fictifs mais largement inspirés de personnes et situations réelles.
Les questions posées par les auditeurs et auditrices sont :
– Comparaison des rapports entre la France et les trois pays d’Afrique du Nord.
– Particularité des Juifs de Djerba.
– Description des différentes communautés juives tunisiennes et classification sociale.
– Pourquoi les Juifs ont-ils quitté la Tunisie ?
Nine Moati répondra à toutes nos questions, donnant même des détails personnels voire intimes sur son parcours. Le hasard se mêle à ses qualités personnelles et lui a fait rencontrer Hélène Lazareff et Françoise Giroud. Ainsi a commencé son parcours journalistique et son envie d’écrire son premier livre Mon enfant, ma mère qui a été un succès littéraire avant de devenir un film.
Rappelons qu’il a été suivi par quinze autres œuvres.
Nous avons passé deux heures riches d’échanges avec une personnalité attachante dont il est difficile de rendre compte de toutes les anecdotes qui émaillent son exposé et le dialogue avec la salle.
Dommage qu’elle ait décidé (temporairement ? ?) de ne plus écrire.
Victor Attas
Photos Claude Guetta, Sam Hakim
Nine Moati, romancière française d’origine juive tunisienne a passé son enfance à Tunis et nous parlera de son parcours, de son œuvre en général,et de son roman « Une terrasse sur le Nil » publié en 2004 chez Ramsay.
Que signifie être romancière d’origine tunisienne vivant et écrivant en français à Paris ?
Ce thème ne manquera pas de nous questionner sur nous, juifs d’Égypte.