Dario Miccoli nous fait un exposé sur le thème de l’Alliance Israélite Universelle en Égypte :
« Dans un pays bizarre : l’Alliance Israélite Universelle et les Juifs d’Égypte, 1890-1920« .
Dario Miccoli est un universitaire italien, chercheur postdoctoral en Littérature Hébraïque et Etudes Juives à l’Université Ca Foscari de Venise. Ses travaux portent sur l’histoire et la mémoire des Juifs du Proche-Orient et sur la littérature israélienne mizrahi. Avec Emanuela Trevisan Semi et Tudor Parfitt, il a récemment dirigé l’ouvrage Memory and Ethnicity : Ethnic Museums in Israel and the Diaspora, Newcastle, Cambridge Scholars, 2013.
En 2012 il a soutenu une thèse de doctorat sur l’histoire des Juifs d’Égypte (« The Jews of Egypt : Schools, Family and the Making of an Imagined Bourgeoisie, 1880s-1950s ») à l’Institut Universitaire Européen de Florence.
Dario Miccoli nous surprend par sa maîtrise des langues. Il nous indique dans un français parfait, légèrement mâtiné d’un charmant accent italien, qu’il a d’abord étudié l’arabe et l’hébreu avant de se lancer dans l’histoire et en particulier dans celle des Juifs d’Égypte. Au cours de ses études et de ses nombreuses lectures sur le sujet, il a constaté un déficit d’information sur le volet culturel et en particulier sur l’histoire des écoles. Il a alors plongé dans les archives des communautés juives d’Égypte, dans celles de la Mission Laïque et celles de l’Alliance Israélite Universelle (AIU). Concernant les écoles de l’AIU, il constate qu’elles n’ont pas fonctionné plus de vingt années en Égypte : les deux établissements du Caire de 1896 et 1902 jusqu’en 1912, celui d’Alexandrie de 1899 à 1920 ; il n’y a que l’école de Tantah qui se maintient de 1895 à 1956, année pratiquement considérée comme la date butoir de la vie juive en Égypte.
Un des enseignants de l’AIU écrit de l’Égypte, que c’est « un pays bizarre », ni Orient ni Occident. Ces enseignants souvent anciens élèves de l’AIU, ont parcouru outre le pôle important de Constantinople, la plupart des pays d’Afrique du Nord, où règne une ambiance coloniale française. Les communautés juives y sont profondément enracinées et sont fortement structurées par la religion. Ceci n’est pas le cas des Juifs d’Égypte dont la majorité ne s’est installée dans ce pays que depuis le milieu du XIXème siècle et surtout depuis le début du XXème. Alexandrie, de l’avis de ces enseignants, est la ville la plus cosmopolite qu’ils connaissent et « la vie y est plus chère qu’à Paris ».
Deux facteurs vont conduire à l’abandon par la direction de l’AIU de ses écoles en Égypte : la Mission laïque Française (MLF), d’inspiration radicale, va ouvrir un établissement dès 1908 ; par ailleurs, l’AIU par sa vocation sociale veut aider les classes défavorisées à s’éduquer, ce qui va faire péricliter son système économique. La fermeture des écoles du Caire par le siège parisien va surprendre la direction locale, qui va plaider chaudement pour son maintien, mais sans succès. Les bâtiments et la plupart des enseignants de l’école d’Alexandrie vont être repris par la Communauté Juive locale. Les élites et la grande bourgeoisie, peu attirées par la religion et qui méprisaient un peu l’AIU – qui d’ailleurs comprenait mal l’identité complexe et peu traditionnelle de ces Juifs d’Égypte – vont être séduites par le laïcisme de la MLF. Ceci est vrai tant à Alexandrie qu’au Caire, où un décompte des élèves du Lycée Français a indiqué que 60% des élèves étaient des juifs.
Tantah échappe à cet état d’esprit. Les relations intercommunautaires y étaient plus chaleureuses et nombre d’élèves chrétiens ou musulmans fréquentaient l’école de l’Alliance, dispensant la culture française. Dario Miccoli nous cite l’anecdote du compliment adressé par la jeune Odette Benrey au conseiller de l’Ambassade de France, en visite à Tantah. Il la qualifiera de « jeune Egyptienne à l’âme française ».
Notre conférencier s’est beaucoup intéressé à l’Ecole des filles de l’AIU à Alexandrie. Madame Rachel Braun d’origine alsacienne et épouse de Joseph Danon originaire de Constantinople et directeur de l’AIU d’Alexandrie, ainsi que leur fille Léonie, vont enseigner dans cet établissement. Rachel Danon trouve que les femmes d’Alexandrie s’intéressent plus à leurs toilettes qu’à la formation de leurs filles. Elle veut faire de celles-ci des filles bien éduquées, futures mères de famille et veille à leur éducation religieuse.
Elle instaure une cérémonie collective de Bat Mitzvah, du type pratiqué en France et en Allemagne, les petites jeunes filles étant habillées de blanc, en tenue de première communiante. Cette cérémonie va perdurer à Alexandrie jusqu’à la deuxième guerre mondiale.
L’échec relatif de l’Alliance en Égypte tient au fait, selon certains chercheurs, que l’AIU était trop liée à l’idéologie coloniale. Dario Miccoli pense que l’Alliance a imaginé une bourgeoisie traditionnelle juive en Égypte, décalée par rapport à la situation constatée sur le terrain.
A la fin de l’exposé des questions fusent et un débat s’instaure avec l’assemblée. La présence des autres écoles confessionnelles de langue française est évoquée. Emile Gabbay invite à ne pas se limiter aux seuls courriers de l’Alliance et cite comme sources, avec certaines réserves quant à leur fiabilité, ceux de Frédéric Abécassis ou de Somekh.
Ces échanges se poursuivront ensuite autour de notre traditionnel pot amical, Dario Miccoli nous annonçant, avant de nous quitter, la parution de son ouvrage (en anglais) pour fin 2014.
Victor Attas
En 1896, l’Alliance Israélite Universelle ouvre ses premières écoles égyptiennes au Caire.
Quatre ans plus tard d’autres écoles vont ouvrir leurs portes à Alexandrie. En 1905, les écoles de Tantah ouvrent à leur tour. Les écoles du Caire et d’Alexandrie fermeront peu de temps après – en 1912 et en 1920 respectivement – pour des raisons économiques mais aussi à cause de la concurrence des autres institutions scolaires. Au contraire, celles de Tantah continueront leurs activités jusqu’aux années Cinquante. Peut-être en raison de sa brièveté, l’expérience de l’Alliance en Egypte reste jusqu’à aujourd’hui un chapitre méconnu de l’histoire de cette institution philanthropique et éducative. Néanmoins, c’est un chapitre important et qu’il faut redécouvrir afin d’obtenir une image plus complète de l’histoire des Juifs d’Egypte pendant la période coloniale.
En partant des documents repérés dans les archives parisiennes de l’Alliance, cette conférence cherche à raconter l’histoire des Juifs d’Egypte à travers les lettres des enseignants de l’Alliance et la vie quotidienne des écoles du Caire, d’Alexandrie et de Tantah. Ce qui en sortira, c’est l’image d’un pays « bizarre » pour l’Alliance, souvent difficile à comprendre, où vivait l’une des communautés juives de la Méditerranée Orientale les plus vives et où se croisaient mondes locaux et horizons cosmopolites, traditions ottomanes et modernités coloniales, pauvres et bourgeois.