Association pour la Sauvegarde
du Patrimoine Culturel
des Juifs d’Égypte

12/04/2014 – Daniel SIBONY

Nous étions bien nombreux pour accueillir Daniel Sibony, psychanalyste, philosophe, écrivain, auteur de nombreux ouvrages, venu nous parler de ses deux derniers : » Islam, phobie, culpabilité« , éditions Odile Jacob, 2013 et « Fantasmes d’Artistes« , Éditions Odile Jacob, 2014.

Né en 1942 dans la Médina de Marrakech (*), Daniel Sibony vit dans trois langues : l’arabe qui est sa langue maternelle, l’hébreu biblique et le français, appris à l’école. Il émigre à Paris en 1955, à l’âge de 13 ans.
Son cursus est très riche. Il est d’abord chercheur en mathématiques ; il fait ensuite une thèse de philosophie avant de devenir psychanalyste. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont un roman autobiographique.

slam, phobie, culpabilité, éditions Odile Jacob, 2013

Islam, phobie, culpabilité, éditions Odile Jacob, 2013 : C’est de ce livre que l’auteur nous parle en premier.Pour schématiser le débat essentiel présenté dans cet ouvrage, on peut dire qu’il oppose deux façons de présenter l’essence du texte coranique :La première façon, selon Sibony, est la présentation du texte dans sa vérité, qui s’avère être souvent très violente (**) et particulièrement vis-à-vis des deux premières religions monothéistes, la juive et la chrétienne (appelées dans le coran : « religions du livre »).La deuxième façon est selon lui une version édulcorée, « angélique » (même si ce mot n’est pas employé). Ses tenants diraient, par exemple, que les terroristes musulmans actuels ont trahi le texte initial, dont l’essence serait, en réalité, modérée.

C’est cette deuxième façon de voir – « angélique » – que Daniel Sibony dénonce fortement. Il y range un certain nombre d’auteurs et particulièrement Benjamin Stora et Abdelwahab Meddeb qui ont dirigé l’important ouvrage collectif «Histoire des relations entre juifs et musulmans, des origines à nos jours » (***); il critique nommément aussi un des auteurs importants de l’ouvrage, le professeur américain Mark Cohen, islamologue.
Pour étayer sa thèse, l’auteur s’appuie principalement sur sa connaissance parfaite de la langue arabe ; il a lu et étudié le Coran dans le texte. A ce sujet, il évoque une discussion qu’il eut avec Ghaleb Bencheikh, animateur de « Culture d’Islam » ; Celui-ci lui avait a cité un verset du Coran: « Ne tue pas l’homme que Dieu a sacré ». Sibony lui demanda alors de lui préciser quel était ce verset coranique ? Bencheikh le lui nomma. Sibony ouvrit alors son Coran et lut intégralement le verset: « Ne tue pas l’homme que Dieu a sacré, sauf pour une cause juste » (La partie omise est soulignée). L’ouvrage du psychanalyste présente comme cela de nombreux versets coraniques très caractéristiques qui ont souvent été « expurgés ».

Ainsi, selon notre conférencier, une des façons les plus courantes d’édulcorer le texte coranique est de le «tronquer», c’est-à-dire d’en citer des fragments incomplets.
C’est ainsi que Sibony considère que « les autres », et notamment l’Occident, ont tendance à s’autocensurer, à éviter de présenter le texte coranique dans sa vérité, sans doute pour ne pas vouloir stigmatiser une partie de la population et de l’humanité. Il interprète ce comportement d’évitement comme causé par un sentiment de culpabilité – issue en partie du colonialisme – qu’il appelle « culpabilité perverse » parce qu’elle met les deux parties en porte-à-faux.

Daniel Sibony propose donc de faire usage d’une autre parole, une « parole de vérité », plutôt qu’une parole « politiquement correcte ». Selon lui, c’est ce qui permettrait de sortir chacun de son enfermement et de gérer autrement la relation islam/Occident.

Toujours selon l’auteur, ceci paraîtrait d’autant plus juste que les musulmans eux-mêmes, dans leurs pays respectifs, ont fait des tentatives de « révolutions » dont un des objectifs est probablement de sortir les individus du carcan du texte originel.

Cet exposé passionné fait sur un sujet actuel et brûlant généra de l’intérêt et pas mal de questions ; une de ces questions fait l’objet d’une lettre d’Armand Lévy dans notre « courrier des lecteurs » bulletin 59 de juillet 2014 .

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(*) Daniel Sibony évoque qu’un enfant juif pouvait couramment être insulté – ou quelquefois frappé – par des jeunes de la Médina de Marrakech, ce qu’il rattache à une réminiscence de la Dhimmitude.
(**) Daniel Sibony ne nie pas l’existence de violence dans les livres saints des autres religions. Dans la Torah, il dit que la notion « de peuple élu » est très violente pour les autres, ceux qui n’ont pas été élus !
(***) Nous avions invité Abdelwahab Meddeb et Denis Charbit pour présenter leur livre en janvier 2014. Voir compte-rendu de Michel Mazza dans le bulletin 58 d’avril 2014 et sur notre site (lien ci-dessus).


Fantasmes d’Artistes, Éditions Odile Jacob, 2014.
Ayant terminé avec l’exposé sur son ouvrage « Islam, phobie, culpabilité » où s’entrelacent les points de vue politiques et psychanalytiques, Daniel Sibony aborde la description de son dernier livre « Fantasmes d’Artistes ». Celui-ci est dans la lignée d’un essai publié neuf ans plus tôt : Essai sur l’art contemporain.

Notre auteur nous avoue sa passion pour l’art qui s’est révélée à l’âge de quinze ans. Il avait alors parcouru l’Italie en stop à partir de Brindisi et, remontant vers Paris, avait visité tous les musées sur son passage.

Fantasmes d'Artistes, Éditions Odile Jacob, 2014.



Qu’est ce qu’une œuvre d’art contemporain pour Sibony ? Elle exprime selon lui, une faille narcissique du créateur de l’œuvre, qu’il veut mettre en commun avec le spectateur.
C’est cet engagement de l’artiste que Daniel Sibony appelle son fantasme.
Il nous cite en exemple deux monochromes totalement identiques de Klein avec deux prix de vente différents. Pourquoi ? L’auteur veut faire jouer la cassure de l’identité.
Autre exemple où l’on donne corps à des données existentielles : l’exposition au MOMA à New-York de récipients contenant des produits corporels. L’art contemporain s’exprime par l’interface entre le corps et l’art.

Le questionnement de l’artiste sur sa présence et son rapport à l’autre se voit chez Abramovic qui s’expose toute nue, couchée en train de pleurer avec un squelette allongé sur elle !
Chaque artiste donne corps à son fantasme et ceci sous le signe de la rencontre. Il nous montre des réalités dans lesquelles nous baignons à notre insu.
Remarquons le noir strié de Soulages qui nous fait voir des rais de lumière sur les stries. C’est ce relief du noir qui nous enveloppe dans la vie.

Sur le sujet de la présence de l’autre, Daniel Sibony, passionné par les expositions Monumenta du Grand Palais analyse l’œuvre de Richard Serra qui a disposé symétriquement cinq plaques de 75 tonnes chacune, totalement identiques. L’observateur les perçoit différentes. Ce n’est pas un objet; le spectateur en fait partie et ceci est un questionnement sur son identité.
Reste la question de la beauté, qui selon Sibony, est une somatisation de l’amour. C’est un événement et pas une substance.
Les artistes étant les seuls êtres autorisés à exprimer leurs fantasmes, vont faire la preuve que l’œuvre est une expression de leurs déchets. Exemple : merde d’artiste ! L’art contemporain contient toujours, plus ou moins, une part de provocation.

Enfin, Daniel Sibony traite du rapport au temps dans cet art. Quel est le rapport du contemporain avec l’éternité ? Il nous cite Freud « L’inconscient ne connaît pas le temps ». L’artiste crée le temps.

Joe Chalom et Victor Attas 

« ISLAM, PHOBIE, CULPABILITE  » paru en octobre 2013  et « FANTASMES D’ARTISTES »  paru en mars 2014, tous deux chez  Odile Jacob.

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