Association pour la Sauvegarde
du Patrimoine Culturel
des Juifs d’Égypte

02/02/2013 – Simon EPSTEIN

Simon Epstein, venu l’an dernier à notre cercle de lecture pour nous présenter son dernier livre «1930, une année dans l’histoire du peuple juif», est de retour sur un sujet plus ciblé géographiquement, mais plus vaste au niveau calendaire. Il nous parle des relations entre «Israël et l’Égypte de 1948 à nos jours».

Il commence par remarquer que l’histoire des Juifs en Égypte a été aussi une histoire heureuse, mais qui prendra fin dans les années cinquante.
(NDLR : il en est de même pour tous les pays arabo-musulmans qui se sont presque totalement vidés de leurs Juifs durant cette période)

La guerre de 1948 commence avec deux pénétrations de l’armée égyptienne en direction de Tel-Aviv et de Jérusalem. Ces offensives sont arrêtées par la jeune armée israélienne, qui pousse même jusqu’au Sinaï. Mais la Grande-Bretagne la met en demeure de rebrousser chemin. Un cessez le feu sera signé avec l’Égypte.

Dans le conflit entre Israël et l’Égypte, il demeure un problème qui perdure d’ailleurs jusqu’à présent :
La population israélienne est dix fois moins nombreuse que la population égyptienne, ce qui crée un déséquilibre potentiel préoccupant.

En 1952, l’Égypte change de système politique et devient un modèle pour les autres pays arabes. Bien que Nasser ait songé à un moment à négocier avec Israël, il est persuadé que le régime antérieur est la cause de la défaite de 1948 ; ainsi le mythe d’une revanche favorable à l’Égypte, s’installe. L’Égypte, comme la Jordanie d’ailleurs, soutient les actions terroristes de groupes palestiniens. Israël réplique aux attentats au coup par coup ; ces représailles s’avérant de plus en plus efficaces sous la conduite de jeunes officiers comme Sharon ou Dayan. La tension monte entre Israël et l’Égypte, celle-ci étant de mieux en mieux armée par les Soviétiques et leur satellite tchécoslovaque. La menace grandit, d’autant qu’une action maladroite (l’affaire Lavon matérialisée par l’Opération Suzanna) de tentative de discréditation du nouveau régime égyptien aux yeux du monde, échoue lamentablement. Il s’agissait de perpétrer secrètement des attentats contre des intérêts anglais ou américains en Égypte, par de jeunes juifs égyptiens. Le but étant d’impliquer à nouveau la Grande-Bretagne, ancienne puissance colonisatrice, pour remettre de l’ordre dans les affaires égyptiennes. Rappelons que ces deux États négociaient au même moment le retrait des soldats anglais encore basés dans la région du Canal de Suez. L’affaire se solde par l’arrestation des comploteurs. Leur procès est perçu par l’opinion comme une action antisémite, parce qu’en plus du suicide d’un suspect interpellé, de la condamnation à de la prison pour cinq des accusés, deux jeunes juifs seront pendus : Samuel Azar et Dr Moshé Marzouk.
(NDLR : voir notre bulletin n°20 de septembre 2004 qui décrit longuement cette affaire)

Cette affaire aura de grandes répercussions en Israël -où il semble qu’il y ait eu un complot de certains officiers contre des ministres du gouvernement, par falsification de documents- entraînant le remplacement de Moshé Sharett par David Ben Gourion, qui sort de sa retraite au Néguev. Ce dernier est persuadé que l’affrontement avec l’Égypte est inévitable. Il place Golda Méir aux Affaires Etrangères et recherche l’appui d’une grande puissance. Ce sera la France, car Guy Mollet est convaincu que Nasser est le soutien, voire l’instigateur de la révolte algérienne qui sévit depuis bientôt deux ans. La nationalisation du Canal de Suez par Nasser, fournit le prétexte à une intervention armée tripartite de la France, de la Grande-Bretagne et d’Israël contre l’Égypte. Chacun poursuit son propre objectif : résoudre le problème algérien, défendre ses intérêts économiques ou enfin, pour Israël, obtenir des contreparties à son retrait du Sinaï, qu’elle va conquérir en quatre jours. Son retrait ultérieur lui procurera la démilitarisation de cette péninsule, la mise en place d’un contingent de Casques Bleus de l’ONU, lui assurant ainsi une frontière tranquillisée dans le sud et enfin la libre navigation vers Eilat. Israël gagnera une période de dix ans de tranquillité et de prospérité économique. À la guerre, a succédé une période de lutte secrète contre les savants allemands qui sont en Égypte pour l’aider à perfectionner son arsenal naissant de missiles. On peut toutefois espérer une moindre implication de l’Égypte au sujet de la défense des Palestiniens.
Par contre, sur la frontière nord, apparaît un nouveau problème avec la prise du pouvoir syrien par le parti Baath, beaucoup plus activiste, qui pousse à une fusion avec l’Égypte (création de la République Arabe Unie au demeurant éphémère), qui soutient les guérillas palestiniennes et provoque ponctuellement militairement Israël.
La Syrie cherchera alors par tous les moyens à entraîner l’Égypte vers la guerre contre Israël aidée en cela par Yasser Arafat qui va multiplier les attentats. Cette escalade aura pour conséquences des ripostes de plus en plus vigoureuses d’Israël (six avions syriens seront abattus lors d’un combat aérien).
L’armée égyptienne sortie du bourbier yéménite, est alors envoyée dans le Sinaï par Nasser, en violation des accords de cessez le feu de 1956-57. Les Casques Bleus ne s’y opposent pas et l’Égypte persuadée de la force de son armée et de celle de ses alliés jordaniens et surtout syriens, se prépare à la guerre.
Israël souffre de deux handicaps : son armée composée essentiellement de réservistes ne peut pas (à l’inverse de l’armée égyptienne) être mobilisée très longtemps, cette situation étouffant son économie ; d’autre part, son premier ministre Lévi Eshkol veut essayer d’éviter la guerre. Il sollicite un soutien international qu’il n’obtiendra pas et se trouve soumis à la pression des militaires comme Dayan et de l’opposition dirigée par Menahem Bégin. Il formera avec eux un gouvernement d’union nationale. La page est tournée. Nasser multiplie les provocations verbales et diplomatiques et le 5 juin, Israël attaque par surprise l’armée égyptienne détruisant presque totalement son aviation en une heure !
Cette guerre-éclair durera six jours, pendant lesquels Israël conquiert le Sinaï, la Cisjordanie et se trouve quasiment aux portes de Damas. A la fin de cette guerre, la profondeur territoriale qui manquait tant à Israël, est acquise.
Mais l’URSS réarme l’Égypte et la conférence des pays arabes à Khartoum, refuse toute négociation avec Israël, dont elle ne reconnaît toujours pas la légitimité (Ce sera les trois « niet » : Pas de reconnaissance. Pas de négociations. Pas de paix)

Une guerre d’usure va démarrer, ce en quoi excelle l’Égypte. Les trente fortins érigés par Israël sur la rive est du Canal de Suez, vont être copieusement canonnés par l’artillerie égyptienne pendant deux ans. Israël essaie de répliquer en bombardant l’Égypte en profondeur, (Ceci, afin d’obliger les égyptiens à répartir leurs forces sur tout le territoire et à dégarnir le front) tout en évitant la confrontation directe avec les Russes, omniprésents dans l’aviation égyptienne (20 000 conseillers soviétiques sont présents et des fusées sol-air sont fournies à profusion) Les Etats-Unis s’en inquiètent, et la diplomatie américaine, jusqu’ici discrète, intervient au Moyen-Orient. Un cessez le feu est établi à partir d’août 1970.

Entre-temps, Nasser va mourir, remplacé par Sadate, tandis que le jeu des antagonismes politiques a repris en Israël, Bégin quittant le gouvernement et Golda Méir devenant premier ministre. Elle ne semble pas prendre au sérieux la menace d’une reprise des hostilités avec l’Égypte. Israël sera ainsi surpris par l’attaque simultanée égypto-syrienne le jour de Kippour 1973.
Erreur d’appréciation! A la faveur de la profondeur stratégique acquise après la guerre des six jours, les Israéliens sont persuadés qu’ils sont à l’abri de toute attaque surprise. Ce sentiment de sécurité est fallacieux car avant 1967, le Sinaï était démilitarisé et les deux armées ne se faisaient pas face. Israël avait donc le temps de réagir et de préparer une riposte adaptée. Mais Israël excelle dans la guerre de mouvement : contre-attaque de Sharon qui s’insinue entre deux corps d’armée en Égypte continentale et parvient à 100 km. du Caire. Cependant l’euphorie de supériorité militaire qui prévalait en Israël a disparu. Sadate a rendu son honneur à l’Égypte et va pouvoir négocier. Les missions de Kissinger permettent d’obtenir un accord de non-belligérance ainsi qu’un retrait des forces israéliennes sur 10 km. à l’est du Canal de Suez, qui rouvrira en 1975.

En mai 1977, la droite israélienne (Likoud) dirigée par Ménahem Bégin, gagne les élections. Ceci va être un accélérateur dans le changement de relations avec l’Égypte. Des pourparlers secrets se déroulent au Maroc. La situation économique de l’Égypte s’est dégradée, la bourgeoisie aspire à la paix et Sadate fait « un coup médiatique » lors d’un discours célèbre au parlement égyptien. Il déclare sur un ton faussement agressif qu’il ne craint pas de proclamer partout son bon droit et qu’il ira même l’affirmer à la Knesset, s’il le faut. Aussitôt dit, aussitôt fait. Israël l’invite officiellement, confectionne en toute hâte des drapeaux égyptiens, la fanfare militaire apprend en quatrième vitesse à jouer l’hymne national égyptien. Sadate débarque, à la surprise générale, le 19 novembre 1977, au parlement israélien à Jérusalem. Hélas, le rêve de la négociation directe bilatérale s’estompera rapidement.

À l’été 1978, le bilan des points de discorde est flagrant :
Du côté égyptien est exigée l’évacuation totale du Sinaï par Israël ; par contre, Israël réclame sa démilitarisation. Un traité de paix (souhaité par Israël) ou simplement la non-belligérance, suffisante pour les Egyptiens. Enfin, il y a un gros décalage de points de vue sur l’avenir des Palestiniens : autonomie selon Bégin ou indépendance selon Sadate. A l’été 1978, les deux protagonistes acceptent la médiation des Etats-Unis et prennent le chemin de Camp David. Ceci conduira à un traité de paix signé à Washington en mars 1979 signifiant un programme d’évacuation du Sinaï en trois ans. La conséquence sera l’émergence d’un parti d’extrême-droite en Israël (Guéoula Cohen) se mobilisant en particulier lors de l’évacuation de Yamit dans le Sinaï.
Au delà de 1982, la situation des deux anciens belligérants est stabilisée :
– Israël possède désormais une armée forte et moderne débarrassée du souci d’un conflit avec l’Égypte.
– L’Irak en guerre contre l’Iran mobilise les forces arabes en dehors de la zone concernant directement Israël.
– L’Égypte respecte scrupuleusement les clauses du traité de paix et cherche à jouer un rôle entre Israéliens et Palestiniens, en particulier lors de la deuxième Intifadah.
Mais l’Égypte de Moubarak a négligé le Sinaï et surtout le problème de la contrebande avec la bande de Gaza. Voici qu’arrive le « Printemps Arabe » qui voit émerger un pouvoir « Frères Musulmans » en Égypte avec une grande instabilité générant une forte incertitude pour l’avenir.

                                                                                                                                                                                      Victor Attas et Danny Taconet Mazza

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