Association pour la Sauvegarde
du Patrimoine Culturel
des Juifs d’Égypte

19/01/2013 – Benjamin STORA

Nous avons reçu à nouveau avec plaisir BENJAMIN STORA, historien et professeur à l’Université Paris-XIII, autour d’un exposé débat qui a porté sur le thème de « L’année 1956 et le départ des juifs d’Égypte« .

Cette année a été très particulière pour la France, pour l’Égypte et l’équilibre mondial.

Benjamin Stora fait le point de tous ces événements et profite de cette occasion pour dédicacer deux de ses ouvrages « VOYAGES EN POSTCOLONIES « publié chez Stock et « LA GUERRE D’ALGÉRIE EXPLIQUÉE A TOUS « publié au Seuil.

BENJAMIN STORA,
BENJAMIN STORA,
BENJAMIN STORA,

C’est devant une salle comble que notre ami Benjamin Stora a présenté un sujet d’histoire passionnant: les événements qui se sont déroulés en 1956 dans le monde.

Tout d’abord un rapide tour d’horizon est présenté pour décrire le contexte dans lequel s’inscrit cette année très particulière. En 1945, c’est la fin de la Seconde Guerre mondiale. L’Allemagne et le Japon qui avaient déclenché les hostilités sont vaincus. Deux grandes puissances émergent du conflit, ce sont les États- Unis et l’Union Soviétique. Cette évolution s’accompagne du déclin des grandes puissances coloniales et en particulier La Grande Bretagne et la France. Pendant près d’un siècle, elles ont occupé une place dominante et régné sur de vastes empires.

Un 2ème processus interviendra au même moment : ce sera la décolonisation. Après la guerre d’Indochine, de nombreux pays accèderont à l’indépendance : l’Inde, le Pakistan, l’Indonésie etc.
Ainsi, on assistera à « une redistribution des cartes ».

La naissance de l’État d’Israël en mai 1948 constituera le 3ème événement qui aura de sérieuses répercutions au Proche et Moyen Orient ainsi qu’au plan international.
Les deux grandes puissances s’observeront avec méfiance et chercheront à constituer des blocs.
Le pacte de Varsovie d’un côté et l’Otan de l’autre. Cependant, comme un coup de tonnerre, un événement imprévu bousculera le statu quo. Ce sera le rapport de Khrouchtchev qui dévoilera les crimes commis durant le long règne de Staline. Ces révélations vont entraîner un début de désagrégation du bloc soviétique avec comme première conséquence l’invasion de la Hongrie qui avait des velléités d’indépendance.

En mars 1956 le Maroc et la Tunisie, après des rapports conflictuels avec la France, accèdent finalement à l’indépendance cependant que l’Algérie demeure partie intégrante de la France.
La situation s’envenimant, l’Assemblée Nationale vote le 12 mars 1956 les pouvoirs spéciaux et décide d’y envoyer le contingent. Cette décision aura des répercutions considérables et soulèvera de nombreuses questions.

Pourquoi cette guerre qui n’ose pas dire son nom ?

Cette période coïncidera avec le début de la désagrégation de l’empire colonial français. En Juin 1956 la « loi cadre » amorce la décolonisation des pays sub-sahariens : le Mali, le Niger, le Gabon etc.
La même époque, verra la naissance d’un 3ème bloc dit des pays non alignés qui s’évertuera à se situer à mi-chemin entre les États-Unis et l’Union Soviétique. Ce sera la conférence de Bandung à laquelle participeront entre autres Nehru, Nasser et Chou en Laï où l’on constatera l’apparition d’un schisme entre la Chine et l’URSS au sein du bloc communiste.

Le problème de la colonisation préoccupe les esprits au sein des peuples colonisés ainsi que parmi les intellectuels des pays développés. A l’époque les deux notions : communisme et nationalisme coexistent. Des mutations discrètes laissent espérer une évolution vers plus de liberté pour les peuples et une progression du socialisme vers une forme plus démocratique.

C’est aussi à cette époque qu’en Égypte, le mouvement nationaliste occupera les devants de la scène conduisant à des affrontements avec la Grande Bretagne et la France avec comme point d’orgue la nationalisation de Canal de Suez.
Pour asseoir son influence au sein de la population égyptienne, Nasser prendra appui sur les trois piliers qui sont l’Arabisme, le Nationalisme et le Socialisme. On notera qu’il s’agit là d’une posture laïque. Elle aura comme conséquence un conflit larvé puis effectif avec les frères musulmans.
Ces derniers n’ont qu’un seul objectif : répandre l’islam largua-manu par tous les moyens à leur disposition.
Ces changements sur la scène du Proche Orient seront accompagnés d’une inversion de la politique de l’Union Soviétique. En effet, lors de la naissance de l’État d’Israël, l’URSS ne lui avait pas ménagé son soutien, mais après la conférence de Bandung, ce sera au tour des états arabes de bénéficier des faveurs de cette grande puissance. C’est ainsi qu’Israël cherchera un appui auprès de la Grande Bretagne (surtout pour des raisons économiques) et auprès de la France, l’appui de Nasser au F.L.N. algérien en faisant un ennemi commun aux deux pays.

En 1956 c’est la nationalisation du Canal de Suez par Nasser, puis l’intervention tripartite de la Grande Bretagne, de la France et d’Israël. Hasard du calendrier ?
Elle coïncide au jour près avec l’invasion de la Hongrie par l’URSS.
Contrairement à ce que l’on pourrait escompter, les États-Unis et l’Union Soviétique agiront de concert pour stopper net l’attaque tripartite contre l’Égypte. Les conséquences de cette collusion soviéto-américaine seront considérables.
Les États-Unis et l’Union Soviétique émergeront comme étant les deux seules grandes puissances de la planète pouvant influer sur le cours des événements. La Grande Bretagne et la France marginalisées ne pourront plus revendiquer un statut équivalent.
La France pour sa part, confrontée à la guerre d’Algérie, cherchera à laver cet affront et à redorer son blason. Elle emploiera les « grands moyens » pour venir à bout de la rébellion lors de la bataille d’Alger.
Concernant Israël, les liens avec l’Union Soviétique sont rompus, et graduellement relâchés avec la France et la Grande Bretagne. Ceci entraînera une réorientation de la politique de l’état hébreu qui retiendra comme seul appui celui des États-Unis.
Quant au président Nasser, Il estimera avoir remporté une grande victoire à l’encontre de la coalition tripartite.
Cette date marquera le début de la fin de l’existence du peuple juif dans la vallée du Nil. C’est en effet à partir de ce moment que les juifs seront graduellement privés de leurs droits.
Le 23 novembre 1956, un décret sera publié prévoyant l’expulsion de tous les « ennemis de l’État »
Nasser apparaîtra alors comme étant un nationaliste ombrageux, xénophobe et de posture plutôt laïque. Il accentuera sa dure répression à l’encontre des frères musulmans. De façon inattendue, ces derniers, plusieurs années plus tard parviendront au pouvoir en prétendant être les seuls véritables défenseurs de l’islam !

La conférence de M. Stora a été suivie par l’assistance avec un intérêt soutenu. Elle a suscité un grand nombre de questions :
Q.-Comment interpréter l’accord entre les États-Unis et l’Union Soviétique pour s’opposer à l’intervention tripartite contre l’Égypte ?
R.-Ceci tient probablement à des considérations de politique intérieure aux U.S.A. L’affaiblissement de la Grande Bretagne et de la France, ouvre une voie aux États-Unis. Ils veulent occuper cet espace libéré et prendre langue avec les nationalismes naissants des anciennes colonies. Cette approche a aussi l’avantage de couper l’herbe sous les pieds le l’Union Soviétique qui veut jouer le rôle du principal soutien anti impérialiste.
Q.-Dans quelles conditions les expulsions et les départs « volontaires » se sont-ils déroulés ?
R.-Lorsqu’une confusion entre juifs et sionistes est prônée par la plus haute autorité de l’État, ceci conduit à des abus de pouvoir de la part de la population, entretenant ainsi un climat d’incertitude et de peur pour les minorités. Dès lors accompagnant les expulsions, on observera des départs volontaires de plus en plus fréquents entretenus par l’incertitude du futur. On constate une situation analogue en 2013 à l’égard des minorités telle que les coptes et autres chrétiens en terre musulmane.
Q.-Quel est le rôle joué par les anciens nazis réfugiés dans les pays arabes ?
R.-Dès 1935, par l’intermédiaire des médias (radio et presse) Berlin déversait une propagande nazie afin que les peuples arabes se rebellent contre les puissances coloniales. Radio Berlin prétendait que les juifs détenaient tous les leviers de commande dans ces pays. C’est à cette époque que l’on trouvera des traductions en langue arabe des «Protocoles des sages de Sion »
Ces interventions modifieront le comportement des nationalistes arabes à partir de 1935.
La conception allemande de l’époque basée sur la notion de race ne sera pas étrangère à ces nouvelles orientations.
Q.-Comment interpréter les relations entre Nasser et les Frères musulmans ?
R.- Au début, il y aura alliance entre les « officiers libres » ayant renversé le roi Farouk et les frères musulmans pour lutter contre un ennemi commun : La puissance coloniale. Par la suite, Nasser adoptera une posture plutôt laïque et ce sera le divorce avec les frères.
Q- On a accusé Nasser d’être un second Hitler.
R.- Nasser a été un dictateur mais il n’y a pas eu de camps de la mort, ni de volonté d’anéantir une ethnie comme dans le cas d’Hitler. Les juifs (et autres minorités) ont finalement été expulsés ou contraints de partir mais il n’y pas eu me massacres programmés comme dans le cas des nazis.

Victor Attas et Michel Mazza

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