Samedi 6 Janvier 2018, à la Maison de la Vie Associative et Citoyenne du 12ème, nous recevions pour un cercle de lecture…
André Cohen, secrétaire général de l’ASPCJE, organisateur des cercles de lecture de l’Association, a reçu toutes sortes d’auteurs français ou étrangers, romanciers, historiens, politologues, journalistes. Depuis plus d’une décennie, il a convié hommes et femmes, les a écoutés en même temps que l’assistance, les a interrogés sur leurs œuvres, leurs idées, leurs motivations. Et puis, il a osé inverser les rôles. Après avoir saisi la plume pour nous faire le récit de ses souvenirs, il se retrouve devant nous avec un ouvrage de 368 pages « Souvenirs doux amers du pays perdu ».
C’est Madame Claude Guetta, qui endossant la tenue de l’intervieweuse, va se charger de nous expliquer -ou plutôt faire expliquer par André- le pourquoi et comment de ce besoin d’écriture et nous en décortiquer le contenu.
Elle commence par rendre hommage à Paula Jacques, qui a préfacé l’ouvrage. Claude nous dit en particulier que notre préfacière a souligné le mode d’écriture d’André qui, tour à tour, passe du « je » à « André » ou bien encore « l’enfant » affichant plus ou moins d’affectivité ou de distance par rapport à son personnage. Ceci est vrai tant pour lui-même que pour les autres personnes citées.
Nous apprenons que ce livre est l’aboutissement d’un projet commun à André et Hélène, son épouse malheureusement décédée le 1er juin 2015. Ce projet a démarré en décembre 2011 et était au départ destiné à leurs seuls enfants et petits-enfants en tant qu’histoire de la famille Cohen. Mais cette «folie d’écriture» comme l’a qualifiée André, s’est transformée en catharsis à la mort d’Hélène. De plus la mémoire impressionnante de notre auteur nous révèle des détails sur des événements historiques tant en Égypte qu’en France.
André a découpé son ouvrage en chapitres -sans lien chronologique et écrit selon l’humeur du moment- relatant chacun un jour particulier ou un lieu qui ont marqué sa biographie de manière significative. A noter un descriptif détaillé de la vie de tous les jours (métro, poste, cinémas, autobus, téléphone, etc..) en France dans les années 50-60. Le tout constitue un patchwork ou un jacquard comme le dit Claude, très précis dans la relation des faits ou plongeant au plus profond des sentiments éprouvés par André.
Au fil de la remontée des souvenirs, nous allons découvrir le parcours d’André et Hélène à Paris, en région parisienne dans leurs différents logements, études, activités professionnelles ; et puis il y a les voyages en Israël, les vacances en France et en Europe. Le tout est émaillé d’anecdotes, de ressentis du couple et de leurs trois enfants, puis petits-enfants et même plus récemment de l’arrière-petite-fille.
Un autre aspect du livre est son charme, la fraicheur du personnage de vingt ans (et en deçà) à quatre-vingts ans (et au-delà), l’optimisme constant, marque de fabrique de la famille Cohen !
Le pays perdu
On en est surpris car André n’a vécu en définitive que peu d’années en Égypte. Sa vie, l’essentiel de sa carrière, le lieu de naissance de ses enfants, c’est la France.
Mais ses racines, ses premiers engagements militants, les sépultures de ses ancêtres sont en Égypte, d’où ce titre de « Souvenirs doux amers du pays perdu », suggéré par Paula Jacques.
L’implication en Égypte est fondamentale. Ne parle-t-il pas de « Mon année 1952 » période des événements tragiques des émeutes incendiaires du Caire et ensuite de la Révolution qui expulse le Roi. André vit ceci avec ferveur. C’est également une période heureuse puisque deux ans après, il épousera Hélène, la femme de sa vie. Mais son engagement politique lui vaut des ennuis, litote pour décrire son passage par la case prison, dont il sortira libéré faute de preuves. Mais la pression des autorités militaires le conduit à quitter sa chère Égypte pour essayer de gagner la France, réputée patrie des droits de l’Homme. C’est là qu’il nous cite l’oncle Félix, frère de son père, ingénieur des Mines, touché ensuite par la grâce et épousant la foi catholique puis se faisant dominicain. Cet oncle, haut en couleurs, est un personnage généreux, sauveur discret d’enfants juifs sous l’occupation nazie, qui aidera beaucoup le jeune couple André-Hélène à se fixer en France. André n’a pas fini d’enquêter sur le passé de cet Oncle Félix, décédé il y a près de soixante ans. Il se propose de poursuivre ses recherches.
Un autre domaine d’actions à poursuivre est la reconnaissance du passé du « Château Rose » qui hébergea, avec l’organisation du Foyer Ouvrier Juif, après la 2ème Guerre Mondiale, des enfants devenus adolescents et rescapés de la Shoah. André et Hélène y ont exercé la fonction de moniteur, à leur arrivée en France, en situation de précarité avant d’être reconnus officiellement par les autorités en tant que réfugiés.
Claude Guetta souligne néanmoins que de cette mer d’optimisme, surnagent quelques îles de questions existentielles : « Quel est mon lieu ? » C’est le sentiment d’étrangeté qu’André exprime partout. Il le ressent en Égypte, en France, en Israël. Il est tour à tour chez lui et également étranger.
Un long cri de douleur s’exprime au travers du souvenir d’Hélène : « Quel sens a la vie sans toi ? » Cet appel nous prend à la gorge. Il est en plus accentué par les événements concomitants, la perte de la petite nièce Lola, lâchement assassinée au Bataclan ; ou la blessure infligée à une petite cousine lors de l’attentat de Nice. André l’écrit : « Vers quel monde allons-nous ? Que va-t-on laisser à nos enfants et petits-enfants ? »
Mais la vie est toujours là avec ses joies et ses malheurs. Nous, auditeurs et lecteurs, éprouvons aussi un sentiment doux-amer. Merci André de nous avoir ouvert ta mémoire et ton cœur. Mais ta mission n’est pas encore terminée !
Victor Attas