Jeudi 14 novembre 2013 à 17 heures à la Maison des Associations du 12ème nous avons reçu Sandrine Szwarc, historienne auteur de : « Les Intellectuels Juifs de 1945 à nos jours » (Aux Éditions « Le bord de l’eau »)

Devant une assemblée plus réduite que pour nos cercles de lecture du samedi, mais passionnée par le sujet, Sandrine Szwarc nous présente son ouvrage « Les intellectuels juifs de 1945 à nos jours » (éditions Le Bord de l’Eau).
Un exposé succinct de l’histoire de sa famille – grand-père déporté et assassiné à Auschwitz, père « enfant caché » et faisant pendant longtemps un tabou du sujet de la 2ème guerre mondiale – nous éclaire sur ses motivations à étudier l’Histoire du Judaïsme français dont elle devient une spécialiste.
Pour traiter ce sujet des intellectuels juifs français post-Shoah, Sandrine Szwarc explore la liste gigantesque des associations culturelles juives qui ont vu le jour en France après 1945. Elle a également accès aux archives francophones déposées à Jérusalem, contenant des montagnes de correspondances, écrits et billets de ces intellectuels juifs tels qu’Emmanuel Lévinas, Léon Askénazi, dit « Manitou », Eliane Amado-Valensi, Edmond Fleg, Robert Gamzon, Jacob Gordin…
Ce dernier fonde l’École de pensée juive de Paris, qui s’appuie sur trois postulats :
– la pensée juive n’est pas morte à Auschwitz
– la culture juive doit être ouverte sur les autres cultures
– il faut ramener au judaïsme ceux qu’André Néher a appelé les « Juifs perplexes »
Il s’agit également de former les nouveaux cadres de la Communauté juive française.

Sandrine Szwarc nous décrit le parcours de Jacob Gordin qui est assez semblable à celui d’Emmanuel Lévinas, originaires tous deux de territoires situés dans l’ancienne Union Soviétique, migrant pour cause de numerus clausus, arrivant en France, rejoignant l’Alliance Israélite Universelle et l’ENIO (Ecole Normale Israélite Orientale) et faisant la connaissance d’Askénazi, de Gamzon et d’un personnage atypique que Lévinas apprécie et admire, Chouchani.
Ce Monsieur Chouchani a l’allure d’un clochard, n’a pas de domicile et se déplace toujours avec une petite valise. Il est toujours à l’endroit où ont lieu des événements importants (on le verra sur les barricades de mai 68). Il fréquente et a une forte influence sur Lévinas, Néher, Elie Wiesel. Monsieur Chouchani, de son vrai nom demeuré indéterminé qui serait Mordékhaï Bensoussan ou Rosenbaum, est un puits de connaissance, maîtrisant la Torah, le Midrach, le Talmud et…le Coran. Il fuit toutes les institutions classiques mais son point fort est le dialogue qu’il instaure entre le Judaïsme et toutes les cultures universalistes.
L’École de pensée juive va organiser des colloques de 1957 à 2007. Le site de rencontre va aller de lieu en lieu, attirant de plus en plus de participants, juifs et non-juifs comme Jacques Madaule, Georges Duhamel ou François Mauriac. Il y aura 41 rencontres où tous les courants pourront s’exprimer avec des tensions mais sans aucun tabou. Il s’agit de partir des sources juives pour apporter des réponses à tous les questionnements de la société. Les colloques seront encadrés par les leçons bibliques d’André Néher et par les leçons talmudiques d’Emmanuel Lévinas. Ces dernières seront publiées jusqu’en 1991 (Lévinas meurt en 1995).
À André Néher, décédé en 1988, succède Jean Halpérin. Mais à sa mort en 2007, les colloques cessent de fonctionner.
Selon Sandrine Szwarc, les grandes questions de société ont été abandonnées aux politiques. « L’intello » devient péjoratif. De plus, les seuls sujets qui semblent préoccuper aujourd’hui les intellectuels juifs sont :
-la Mémoire (Shoah ou exil des pays arabo-musulmans)
-Le conflit israélo-palestinien
-la montée de l’islamisme
L’ouverture à l’autre initiée par les intellectuels juifs paraît aujourd’hui être reprise en main par les intellectuels chrétiens.
Après ce brillant exposé, des questions fusent sur Lévinas, Bernard Lazare, Raymond Aron, Hannah Arendt qui continue de défrayer la chronique du fait du film éponyme ainsi que sur le dernier film de Lanzmann « Le dernier des injustes ».
Victor Attas – 25 novembre 2013
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, après la tentative d’extermination du judaïsme, de nombreux penseurs juifs développèrent dans l’Hexagone une expérience intellectuelle inédite. Elle fut connue sous le nom d’École de pensée juive de Paris. Avec l’École d’Orsay, le Colloque des intellectuels juifs de langue française illustra cette expérience marquante de la vie culturelle juive en France après la Shoah. Les clefs de la réflexion de ces rencontres de haut niveau intellectuel, proposées sur des thèmes le plus souvent liés à l’actualité reposaient sur les textes de la Tradition juive et leurs questionnements. Le Colloque des intellectuels juifs de langue française initia un mouvement de réconciliation identitaire car, en se rapprochant des valeurs religieuses, morales, culturelles, politiques du judaïsme, et en les insérant dans une pensée universelle, le monde chrétien fut, revers de l’histoire, pris à témoin de cette évolution. Dans ce courant de civilisation judéo-chrétienne, la présence de penseurs chrétiens à ces colloques permit au judaïsme, qui avait toujours été en marge, de s’intégrer à la tradition humanitaire occidentale. L’aliya de penseurs juifs siégeant au Comité préparatoire après la guerre des Six-Jours ainsi que la crise du modèle intellectuel tel qu’il s’était mis en place après la Seconde Guerre mondiale entamèrent le déclin du Colloque des intellectuels juifs à la fin des années soixante-dix. Il avait néanmoins permis la naissance d’un nouveau type d’intellectuel : le penseur religieux.
Docteure en histoire moderne et contemporaine, Sandrine Szwarc s’est intéressée au renouveau de la culture et de la pensée juives au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, et notamment aux penseurs du Colloque des intellectuels juifs de langue française (1957-2000) sur lesquels elle a publié de nombreux articles et proposé des conférences. Journaliste, chef de rubrique et membre du comité de rédaction, elle dirige depuis plusieurs années les pages culturelles de l’hebdomadaire Actualité Juive.