« Les alphabets de la Shoah » d’Anny Dayan-Rosenman, (éditions du CNRS, 2009).
Ce Samedi 13 mars, nous écoutâmes avec un très grand intérêt notre amie Anny Dayan-Rosenman, qui survola son dernier livre très dense et tout à fait essentiel.
Que signifient Les alphabets de la Shoah ? Il s’agit de l’analyse de cet ensemble d’écrits transmis par des survivants et rescapés de la Shoah parmi lesquels on peut citer Primo Lévi, Elie Wiesel, Imré Kertèsz, Anna Langfus, Georges Semprun, et quelques autres.
Plus l’évocation de l’horreur des camps de la mort a pu paraître inaudible et indicible, plus ces témoignages sont en réalité indispensables : pour la transmission entre générations, pour lutter contre l’oubli ou même la négation, pour redonner la parole à ceux qui sont revenus et surtout à tous ceux qui sont à jamais disparus – les survivants étant leurs interprètes.
Les auteurs – souvent aujourd’hui célèbres – se défendaient de « faire de la littérature », mais ils se sont aussi refusé à écrire « n’importe comment ». Pour transmettre ils ont utilisé toutes les ressources de l’écriture, aussi bien dans le choix des mots que dans le choix de phrases.
Une fois la forme évoquée, il y a surtout la matière de tous ces livres, qui est si déchirante : les transports entassés en fourgons à bestiaux, la terrible « sélection » avec quelquefois l’acheminement immédiat vers les chambres à gaz, la vie journalière avec les angoisses et brimades sans fin. Un chapitre du livre est consacré aux enfants, un autre aux femmes et à toutes les atteintes à la féminité. Une catégorie d’internés est souvent évoquée : c’est celle à laquelle les nazis avaient attribué le sobriquet de « musulmans » et qui étaient arrivés à un degré de passivité absolue.
L’auteur nous montre aussi que, malgré leur désespoir, les auteurs-témoins utilisaient parfois les ressources de leur culture pour survivre mentalement : par exemple Primo Lévi s’accroche à sa langue maternelle italienne pour se remémorer des vers de L’enfer de Dante. La tradition soutint aussi la masse de juifs religieux : l’immense murmure du Kaddish qui montait durant les épisodes poignants de pendaisons.
Par ailleurs il est très évident que souvent la révolte intérieure amena à la perte de la foi. C’est ce qu’on perçoit dans les premiers livres d’Elie Wiesel, et qui évolua totalement dans la suite de son œuvre.
L’assistance – bouleversée et profondément intéressée – resta muette quelques instant à la fin de ce brillant exposé.
Merci à Anny Dayan-Rosenman pour ce travail de transmission.