Cercle de lecture du 17 mars 20I2 autour de l’édition française de « Comme des voleurs dans la nuit », éditions Rotas, 2012, présenté par l’auteure, Carolina Delburgo, et Ilios Yannakakis.
Carolina Delburgo nous avait présenté brillamment le 23 octobre 2010 son livre autobiographique « Come ladri nella notte ». Elle est revenue le 17 mars 2012 nous apporter la traduction française d’Elena Citti, ce qui a bien entendu beaucoup d’intérêt pour nos lecteurs. Notre ami Ilios Yannakakis, natif d’Égypte et historien, situa le livre dans son contexte historique.
Rappelons la trame du livre de Carolina Delburgo. L’épisode central éclate en novembre 1956, quand se déroula l’expédition franco-anglo-israélienne du Canal de Suez, comme suite à la nationalisation de ce canal par le dirigeant Gamal Abd-el-Nasser. Aussitôt des sujets français, britanniques, mais aussi un grand nombre de juifs d’Égypte de toutes nationalités sont arrêtés et internés par mesure de rétorsion. La grande majorité des personnes internées, comme le père de Carolina, étaient ensuite expulsées avec leurs familles et ce fut le cas de la famille Delburgo. Carolina n’avait alors que dix ans ! Cet épisode crucial et dramatique d’une famille de juifs d’Égypte avait été précédé d’une existence familiale calme et heureuse entre le quartier juif du Caire (Haret el Yahoud) et les secteurs aisés de la capitale égyptienne.
Un autre point très fort du livre est celui de l’arrivée des réfugiés à bord du bateau Achilleus sur le port de Brindisi et l’accueil chaleureux et profondément humain de la population des Pouilles. C’est le début d’une nouvelle naissance en Italie. Le livre s’attachera ensuite à l’adaptation et l’évolution progressive de cette famille à Naples d’abord et finalement à Bologne.
Avant de passer la parole à Carolina, Ilios Yannakakis nous dit tout le bien qu’il a pu penser du livre et notamment dans son rattachement à l’histoire du judaïsme égyptien. Il brossa une vaste fresque de l’histoire de l’Égypte contemporaine qui débuta avec l’avènement en 1804 du vice-roi d’Égypte, Mohamed Ali, d’origine albanaise et fondateur de la dynastie des monarques égyptiens. Mohamed Ali modernisa puissamment l’Égypte aussi bien sur le plan économique, avec de très grands travaux, que sur les plans culturels et cultuels, ceci en instaurant une grande ouverture envers les communautés chrétiennes et juives. Deux événements essentiels marquèrent le règne des successeurs de Mohamed Ali : vers 1860 la Guerre de Sécession aux Etats-Unis eut pour conséquence de propulser les exportations du coton égyptien, qui devint dès lors richesse nationale ; à la même époque, l’ouverture du Canal de Suez bouleversa le commerce international. Ce « boom économique » égyptien, ainsi que la politique libérale qui l’accompagna, attirèrent de nombreux immigrants, essentiellement du bassin méditerranéen. Le régime dit des « capitulations » raffermit encore la confiance des nouveaux immigrants.
C’est ainsi qu’en plus des Grecs, des Italiens, des Syro-libanais, des Maltais, de nombreux juifs arrivèrent dans le pays entre les dernières années du 19ème siècle et les premières années du vingtième siècle. Ceux-ci constituèrent désormais la grande majorité des juifs d’Égypte. Ilios Yannakakis situa donc l’arrivée des grands-parents de Carolina Delburgo dans l’important afflux de juifs de Méditerranée, notamment de Grèce et de Turquie. Il souligna aussi l’ascension sociale des parents de Carolina qui parvinrent à quitter leur « quartier juif » du Caire pour rejoindre les beaux quartiers de la capitale. Toujours à propos de la famille de Carolina, M. Yannakakis dit avoir été impressionné par les très forts sentiments d’amour et de solidarité qui unirent les membres de cette famille, aussi bien au cours de leur vie en Égypte que lors de leur « reconstruction » en Italie. Et tous ceux qui ont lu ce livre peuvent aussi témoigner que cette perception contribue beaucoup à rendre le livre attachant.
2005-2006 : retour de Carolina vers son passé :
Carolina devenue adulte, avait toujours rêvé de revoir le camp de leur arrivée, à Bocca di Puglia, à Brindisi. L’opportunité se présenta quand elle et son mari furent invités à participer à une conférence dans la région des Pouilles. Elle décida alors de saisir l’occasion et de tenter de revoir « son cher camp ».
Arrivée à Brindisi, elle s’adressa à la Capitainerie du Port et apprit que le camp existait encore. S’approchant du local entouré de barbelés, dans la pinède, on lui dit qu’il était interdit d’y entrer. C’est alors qu’elle expliqua son histoire et ses motivations, faisant partager son émotion à ses interlocuteurs : on lui ouvrit la porte.
Carolina demanda à entrer seule, laissant son époux et les préposés attendre au dehors. A son entrée, son émotion fut à son comble. Fermant les yeux, elle revit tous ses souvenirs de fillette en 56, les cris d’enfants, la vie, les odeurs, les jeux, etc.
Quand elle apprit que le camp était promis à la destruction du fait d’un plan d’urbanisme, elle décida d’écrire au Maire de Brindisi. Elle lui expliqua ce que ce camp représentait pour tous ces réfugiés arrivés d’Égypte en Italie. En le détruisant il effacerait même « l’histoire et la mémoire de sa propre population qui avait soutenu, aidé et encouragés les immigrés ». La lettre au maire fut expédiée en février 2006.
Huit mois plus tard, un après-midi d’octobre, ce fut la merveilleuse surprise : Carolina était contactée par le secrétariat de la Mairie de Brindisi. Celle-ci, ainsi que les autorités culturelles de la région des Pouilles lui annonçaient qu’ils avaient décidé d’organiser une grande manifestation pour commémorer l’arrivée de l’Achilleus, transportant les réfugiés juifs d’Égypte. Le jour de la cérémonie serait exactement le jour de l’arrivée du navire – 50 ans plus tard – le 29 novembre 2006.
La commémoration fut grandiose, de nombreuses personnalités furent présentes, dont des représentants des institutions juives d’Italie. La ville était tapissée d’affiches. Il est particulièrement remarquable de signaler qu’un beau bas-relief commémoratif fut posé devant les bâtiments du camp de Bocca di Puglia (ce qui représente à l’heure d’aujourd’hui le seul mémorial de notre exode de 1956-57).
Rappelons enfin les circonstances de l’écriture du livre. Quand en 2006, à la suite d’une longue et éprouvante maladie, Annette Delburgo, mère de Carolina, décéda, une très impérieuse obligation s’imposa à Carolina : écrire un témoignage de son histoire. Cette écriture se manifesta comme un jaillissement, traduit par deux mois d’une très intense et incessante activité.
Que représente ce livre pour elle ? Surtout une expression d’amour et de gratitude à ses parents, une volonté de transmission à ses enfants, certainement un témoignage historique et enfin une formidable expression de reconnaissance envers ces italiens du sud qui furent si fraternels, y compris cinquante ans plus tard.
Signalons que ce livre est remarquablement bien illustré ; nous le recommandons à nos lecteurs comme une importante transmission de notre histoire, mais aussi en tant qu’une très attachante chronique familiale.
Merci à Carolina, à son époux, et à Ilios Yannakakis.
Joe Chalom

« A l’aube du 29 novembre 1956, le bateau Achiléos, en provenance d’Egypte, entrait dans le port de Brindisi (capitale des Pouilles italiennes). Il transportait des réfugiés juifs, pour la plupart italiens, arrachés à leurs maisons dans le noir et le silence de la nuit… ».
L’amitié et la solidarité du peuple des Pouilles furent totales et réchauffèrent le cœur de ces nouveaux venus.
Dans cette autobiographie belle et émouvante, nous suivons au départ la vie paisible de la famille Delburgo dans le Caire des années 40 et 50 du 20ème siècle.
Soudain, fin 56, c’est l’expédition de Suez, suivie des mesures de représailles immédiates et brutales de Gamal Abd el Nasser qui déclenchèrent l’exode des Juifs d’Égypte.
Après l’internement du père de Carolina, la famille fut expulsée en Italie. Accueillie à Brindisi, puis de Naples à Bologne, la famille se reconstruira peu à peu dans un climat humain très favorable.
Voir le compte rendu du 23 octobre 2010 : « Come ladri nella notte ».